Du désir de la recréation de l’homme par l’homme

Publié par Ludovic Maggioni, le 25 novembre 2013   4.3k

Ludovic nous propose ses petites réflexions sur l’ouvrage "Vaucanson & l’homme artificiel - Des automates aux robots" édité par les Presse Universitaire de Grenoble.

Ce livre est le catalogue de l'exposition qui a été présentée au Musée dauphinois en 2010 ... et un bijou pour les passionnés d’histoire et de techniques ! Effectivement, Jacques Vaucanson, né le 24 février 1709 au 3, rue Brocherie à Grenoble est une figure emblématique française, et surtout un inventeur hors normes en avance sur son temps.

Vaucanson et les anatomies mouvantes

Jacques Vacanson vit dans un monde technologique issu des visions mécanistes de Descartes (XVIIème siècle) dans lequel l’univers est système ! Au XVIIIème siècle, la médecine acquière ses lettres de noblesse avec la création de la Société académique de chirurgie. Les modèles anatomiques en cire démontable font fureur dans les salons mondain : ils sont le reflet de cette vision machiniste. Jacques Vaucanson, mécanicien, physicien et anatomiste crée en 1731 une première “anatomie mouvante : une machine de physique dans laquelle est [sic] plusieurs automates où étaient imitées les fonctions naturelles de plusieurs animaux par le mouvement du feu, de l’air et de l’eau”.

Cette machine est ainsi un démonstrateur technique en mouvement, elle est un simulateur de la vie ! Il continuera sur cette voie en créant un joueur de flûte, un joueur de tambourin et de galoubet et un canard. La présentation aux Parisiens et au roi de ces merveilles mécaniques est un succès. Le canard en particulier qui mimait la digestion et laissait entrevoir sa mécanique de précision.

Le supposé canard de Vaucanson, photographie fin XIXe siècle

Vaucanson et l’innovation

En 1739, il voit sa vie prendre un tout autre chemin. Il est convié a redynaniser les entreprises de soierie française. En 1741, il est ainsi nommé inspecteur des manufactures de soies du royaume. Il sera alors homme d’innovation. Innovation incrémentale avec des machines qui pourront être rapidement intégrées dans la chaîne de production et innovation de rupture avec la construction de machines-prototypes qu’il est impossible d’installer dans les usines tant elles sont en avance sur leur temps. Toute sa vie, il fera construire des outils qu’il voudra parfaits. A sa mort en 1782, un inventaire de ses biens sera réalisé à son domicile et donnera naissance au futur Conservatoire national des Arts et Métiers dont le Musée est situé à Paris.

Vaucanson et l’idéologie du progrès

Le XVIIIème siècle est une période de l’histoire des hommes où la technique tient une place très importante dans la société. Elle est la matrice de l'idéologie du progrès. L’homme affirme le désir de s’extraire de la nature au profit de la culture, il veut maîtriser son environnement, comprendre les rouages de la vie. Les automates de Vaucanson vont beaucoup plus loin que la création d’outils qui augmentent des fonctions humaines : ils recréent des figures humaines mouvantes. Ces machines autonomes à figures humaines posent question car elles excluent l’homme, elles sont extérieures à son corps mais possèdent son image !  Quel est alors le statut de l’humain face à ces machines ?

Aujourd’hui de nombreuses “machines mouvantes” ont vu le jour et se nomment robots, cyborgs... Toujours plus performantes, elles sont industrielles ou anthropomorphiques. L’avenir de l’homme est humain pour certain, hybrique ou technologique pour d’autre comme le dit Jean-Michel Besnier, membre du comité d’éthique du CNRS et de l’INRA. Mais le XXIème siècle n’est plus guidé par l’idéologie du progrès telle qu'elle était présente au XXIIIème. L’avènement de la bombe atomique a brisé cette idée et perdu l’humanité dans les limbes d’une relation conflictuelle à la technologie : le progrès n’est plus une valeur purement positive, il effraie.

Vaucanson, toujours d'actualité

Pour conclure, cet ouvrage démontre comment les travaux d’un inventeur de génie mettent en perspective des questions sociales contemporaines crutiales. Stanley Kubrick dans 2001, l'Odyssée de l’espace, met en scène une évolution du prolongement de la main du corps de l’homme. Aujourd’hui, cette évolution peut être de différentes natures : extérieure au corps (développement des outils), intégrée au corps ("augmentation" de l’homme) ou tout simplement, elle peut effacer le corps (les robots). Vaucanson a ouvert la voie de l'effacement qui aujourd’hui fait rêver et terrifie.

Aimee Mullins, star américaine de l'athlétisme paralympique, actrice et mannequin

Une chose est certaine : depuis les origines, les sociétés humaines entretiennent un désir très particulier avec l’idée de créer des “objets” aux caractéristiques humaines, de leur donner une âme, comme par exemple le célèbre Pinocchio et la créature de Frankenstein…   L’homme tend à incarner ce Dieu créateur qui modèle le golem (un être artificiel fait d’argile à qui Dieu offre une âme), il veut prendre sa place et proclame sa mort (“Dieu est mort” disait Nietzsche). Que cherchent donc les hommes ? Le fil conducteur de tout cela, ne serait-il pas un désir secret d’être, d’être pour l’éternité dans son corps ou dans celui d’un autre ?

Pour aller plus loin, peut être de manière plus ludique, n'hésitez pas à voir le spectacle de Blanca li : Robot. Il offre lui aussi une réflexion à la fois légère mais aussi très pertinente sur les relations entre les hommes et les robots.

>> Références : Vaucanson & l'homme artificiel - Des automates aux robots, Sous la direction de Chantal Spillemaecker, PUG (Presses Universitaires de Grenoble), 2010, 30 €

>> IllustrationsDavid (Flickr, licence cc), couverture : PUG, canard : Coll. et © Musée des Arts et Métiers - CNAM, journal : Coll. particulière © Musée dauphinois, Aimee Mullins : © Ali Smith