EXPERIMENTA, LE SALON - La vie dans le mouvement

Publié par Stéphane Romanin, le 2 décembre 2022   520

Le vivant s'invite au salon. En apprenant le thème de EXPERIMENTA, LE SALON - organisé par l'Hexagone - de cette année 2022, je m'attendais à voir des choses assez différentes. Peut-être des présentations d'animaux singuliers? Des plantes mises en scène? Que sais-je? Mais j'ai été très surpris de constater le contenu de ce salon : des robots, des aimants, des drones mais aussi de la danse, du théâtre, des effets spéciaux et même des plantes et de la vie sauvage ! C'est là que cette question m'est venue en tête : Pourquoi ce salon s'appelait-il ainsi? Qu'est-ce qui permettait de catégoriser tout ce contenu, pourtant si varié, comme étant vivant? La première piste de réponse que mon groupe et moi avons trouvé est que le mouvement semble toujours insufflé d'une part de vie et que par conséquent l'objet en mouvement importe peu. Qu'il s'agisse d'une machine ou d'un animal, qu'il bouge seul ou qu'on lui donne une impulsion, ce qui est en mouvement nous semble vivant. Nous avons trouvé d'autres prismes au travers desquels analyser ce salon mais je vous parlerai uniquement de celui-ci.

Flying bodies across the field - La vie par mimétisme

Je vous propose de commencer doucement avec ce qui se rapproche le plus, à mon sens, du vivant tel qu'on y est habitué. Une femme est allongée sur le sol dans une position étrange. Elle semble inanimée. Des drones, commandés par un homme en tenue d'apiculteur, décollent en patrouille et viennent virevolter au-dessus de son corps au rythme d'une musique électronique d'Andrey Karasyov. Après quelques instants, le corps se met à bouger, comme ramené à la vie. La femme rejoint alors le ballet de drones et les deux se mettent à danser ensemble et nous offre le spectacle d'une chorégraphie à la rencontre de l'art et de la robotique. Cette œuvre, conçue et interprétée par Veronika Akopova et Florian Goralsky, c'est Flying bodies across the field. Elle explore l'extinction des abeilles et leur remplacement par des drones pollinisateurs et la manière dont les plantes entretiennent des relations sensibles avec le monde qui les entoure.

Ici, le vivant nous est présenté de façon assez évidente. Une danseuse dans le rôle de la nature et un essaim d'abeilles, on est bien face à une scène qui évoque la nature telle qu'on la connaît. A ceci près qu'ici les abeilles sont des drones, préprogrammés pour se mouvoir selon des séquences bien définies. Et pourtant, mis en musique et accompagnés de la chorégraphie de Veronika, ils semblent prendre vie. Et cette mise en scène soulève une question assez fondamentale : si une machine imite parfaitement un être vivant, reproduisant chacun de ses mouvements pour accomplir le même dessein, qu'est-ce qui les différencie? Peut-on toujours qualifier la machine de “inanimée”? Et si c'est le cas, que lui manque-t-il? Je vous invite à poursuivre cette réflexion plus loin dans le salon.


Kinésphère - Un algorithme prend vie

L'analogie entre une abeille et un drône pollinisateur est assez aisée et demande peu d'abstraction. Le spectacle est sous nos yeux, à portée de main. Le mouvement est palpable. Mais qu'en est-il lorsque ce dernier devient immatériel et que l'objet qui se meut n'est plus une forme physique mais des lignes de code informatique? C'est l'expérience qui nous est proposée par Rachel Martin et Adrien Bardet dans l'œuvre  Kinésphère telle qu'elle était représentée à EXPERIMENTA, LE SALON. Deux écrans formant un angle droit projètent les images d'une femme, Rachel, dansant contre un mur comme si la gravité n'avait pas d'influence sur elle. Face à eux, un polygone aux allures de sphère suspendu au plafond à hauteur de torse avec sur chacun de ses angles des capteurs de champs électromagnétiques. Lorsque ces capteurs détectent du mouvement à proximité de la sphère, l'image de la danseuse se transforme, se décompose tantôt en myriades de points, tantôt en formes géométriques. Cette œuvre est pensée comme un travail sur le mouvement et sa traçabilité. Comment l'interaction avec des objets, physiquement ou comme ici en vidéo, donne lieu à du mouvement ?

Cette approche nous pousse plus loin dans la réflexion. Lorsque l'on interagit avec la sphère, un nouveau mouvement apparaît. L'algorithme s'empare de la chorégraphie de Rachel et la fait sienne. Ce n'est alors plus l'artiste qui danse, mais bien le programme. "Mais ce n'est qu'un code informatique qui obéit à des règles imposées !" me diriez-vous. Et vous n'auriez pas tort de le penser. Cependant si l'on considère que l'algorithme est conçu de sorte qu'il réagisse aux stimulations provoquées par notre mouvement autour de la sphère, alors on peut dire que les mouvements qu'il produit sont une extension des nôtres. Et si nous partons du principe que nous sommes vivants, alors il n'est pas déraisonnable d'accorder à ce prolongement de nous même, à cette projection de nos interactions, le statut de vivant. Et si on tient compte du fait qu'il interprète non pas chacun de nos mouvements individuellement mais la totalité d'entre eux en tant qu'un seul, alors il est le produit de tous nos mouvements, de toutes nos interactions avec la sphère. Et en ce sens, n'est-il pas au moins aussi vivant que chacun.e d'entre nous? La question de l'apparition du vivant par l'interaction est vaste et ne s'arrête pas là.

Ligne rouge - La vie dans l'interaction

Cette œuvre n'était malheureusement pas complètement fonctionnelle le jour de notre visite mais son élément phare a su captiver le public tout au long de la journée. Au milieu de la pièce trône une peau de banane, excessivement grande, montée grossièrement sur un dispositif motorisé et mobile. Lorsqu'on s'en approche, elle s'éloigne, comme fuyant notre pied.  Cette peau de banane intelligente fait partie de l'œuvre de Filipe Vilas-Boas nommée La ligne rouge. Des capteurs à peine dissimulés sur l’engin lui permettent de détecter les obstacles à proximité et de se déplacer de sorte à les éviter.  Une peau de banane qui fait en sorte qu’on ne lui marche pas dessus illustre avec humour et cynisme les dérives d’une société dans laquelle on cherche à tout automatiser. Paradoxalement, cette œuvre a été perçue comme une attraction et tout le monde essayait à tour de rôle de s’approcher de la peau de banane, comme pour jouer avec, ne lui laissant aucun répit.

Ce nouveau genre d’interaction nous permet d’aborder la question du jeu. Lorsque l’on joue avec un objet inanimé, on dit qu’on joue “à quelque chose”. On joue “à la balle” ou “au ballon”. On joue “aux échecs”. Mais quand on a un.e partenaire on dit qu’on joue “avec quelqu’un”. Dans ce cas, il semble évident que les deux personnes jouent. Maintenant prenons le cas de quelqu’un qui joue “avec un ballon”. Qui joue? Est-ce seulement une personne? Ou bien dans ce cas aussi les deux jouent? Ce qui reviendrait à dire que le ballon lui-même, qui sans interaction est inerte, s’anime lorsqu’on joue avec? Quoi qu’il en soit, face à cette peau de banane on ne se dit pas qu’on joue “à la banane” mais bien “avec la banane”. Tout ceci suggère que le fait d’être vivant nous fait insuffler la vie aux objets inanimés avec lesquels nous interagissons.

Dancing is in my blood - La mélodie du vivant

Il y a bien des manières de jouer et, parmi elles, une est souvent mise à l’honneur : jouer d’un instrument. Ici, ce sont deux violes de Gambe qui, au milieu de la pièce, s’animent aux mains de Nathalie Centonze et François Colom. En face, trois bras articulés tournoient au rythme de la musique, comme s’ils dansaient. C’est le spectacle que nous a proposé Antoine Birot dans son œuvre Dancing is in my blood. Un algorithme de sa création traduit les partitions de musique jouées en impulsions électriques de durée et d’intensité variables. Ces impulsions sont ensuite transmises aux bras qui se mettent alors à bouger. 

Cette fois, c’est la musique qui provoque le mouvement. Dans les œuvres précédentes, on pouvait aisément voir l’impact qu’avait notre mouvement. On pouvait voir la portée de notre interaction. Ici, c’est plus subtile. Il nous est impossible de percevoir tout le détail du lien qui unit le mouvement des deux musiciens, faisant chanter leurs violes de Gambe, au mouvement des trois bras mécaniques. Et c’est bien cette imperceptibilité qui donne à ce mouvement des allures de danse. Tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Rapide, puis très lent. Il semble totalement imprévisible. Et n’est-ce pas là une caractéristique du vivant?

Gravity - Une forme de vie chaotique

Sur un bord du hall, près de la baie vitrée, se dresse un petit autel. A son sommet, un plateau carré rétro-éclairé sur lequel se déplacent des billes de métal de différentes tailles. Elles roulent dans toutes les directions, rebondissent sur les parois, s’entrechoquent dans une danse frénétique. Il s’agit de l'œuvre Gravity, création de Stéphane Bissière, qui nous offre cette “micro cosmologie” dans laquelle les billes sont, telles des particules atomiques dans l’univers, soumises à des forces invisibles. Ici, les mouvements des billes sont induits par des impulsions électromagnétiques dispensées à des positions et fréquences aléatoires sur la surface du carré. Et pour ajouter à l’immersion, des micros sont incrustés dans sa paroi. Ils capturent les bruits de roulement et les chocs des billes et nous les restituent, amplifiés, tandis que nous admirons le spectacle. 

Je qualifierais cette œuvre d 'hypnotisante. Les déplacements des billes apparaissent totalement désordonnés, comme si chacune d'entre elles se déplaçait de sa propre volonté. Je me suis surpris à contempler ce ballet pendant de longues minutes sans me lasser le moins du monde. Le déplacement de ces billes est dicté par des forces invisibles. Soit. Mais n’est-ce pas aussi notre cas? Le moindre de nos mouvements est issu de la somme d’une multitude de forces que nous ne pouvons percevoir qu’en les étudiant minutieusement. Si ces forces s’arrêtent, nous cessons de nous mouvoir, à l’instar des billes. Et une fois immobiles, du moins en apparence, en quoi sommes-nous plus vivants que ces billes?

Cette dernière interrogation nous pousse à questionner les frontières du vivant. Dans le dictionnaire Larousse, il n’est nul part question de cellule dans la définition du vivant. Elle décrit une entité dynamique, animée, qui donne une vive impression d’exprimer la vie. Cette définition ne correspond-elle pas à toutes les œuvres que je vous ai présentées? Pour ma part, je répondrais que si. 

Comme convenu, EXPERIMENTA, LE SALON a bien présenté le vivant. Mais pas celui auquel je m’attendais. J’ai d’ailleurs hâte de découvrir les surprises de la prochaine édition !

Article écrit par Stéphane Romanin, avec l'aide de Margaux Siché, Isaora Bacquet, Emmy Vanotti et Garance Demarquest, dans le cadre du Master Communication et Culture Scientifiques et Techniques.

Crédits photos : Garance Demarquest - Emmy Vanotti