Humain et Nature, une simple histoire d’amour ?

Publié par Virginie Girard, le 8 avril 2021   1.3k

2020. Article écrit par Baptiste TESTI, Étudiant M2BEE.

Une relation destructrice voire délétère. Une séparation. Une réconciliation importune? Une incompréhension. Une méconnaissance... comment construire une relation durable? Pour la vie? Intrigue à l’eau de rose et pourtant il s’agit de notre propre relation entre nous, humains, et cet être ressource pour certains, fusionnel pour d’autres, vital pour tous : la nature. Reconnue problématique, cette relation a commencé à être largement encadrée dès les années 1970. Au niveau local, la législation a entre autres autorisé en 1976 la création de réserves destinées à préserver des espaces de nos activités. Hervé TOURNIER, garde-technicien de la Réserve Naturelle des Hauts-Plateaux du Vercors, médiateur de cette relation, partage son ressenti (16 novembre 2020).

Question. Pourquoi séparer l’humain de la nature ?

HT. A mon sens, la vocation première d’une réserve naturelle ou d’un espace protégé comme son nom l’indique, c’est la protection de la nature. Cela a clairement évolué depuis les années 1970. L’idée était initialement de mettre la nature « sous-cloche » pour la préserver au mieux des activités humaines. Mais en dissociant l’humain de la nature, la protection ne peut se faire qu’à court terme. La nature nous fait vivre, c’est l’essence même de l’humanité. Aujourd’hui la gestion des espaces naturels intègre le territoire et les diverses activités qui y sont associées[1]. Dans un monde idéal, cette séparation n’existerait pas puisque tout serait protégé. Ce n’est pas le cas. On préserve donc des zones remarquables pour des raisons biologiques, paysagères, patrimoniales, etc, et je pense que c’est utile sinon je ne ferais pas ce métier ! Par contre il faut faire attention à ce que ça ne serve pas de caution pour négliger le reste[2].

Question. Ne cherche-t-on pas à construire une nature telle que l’on voudrait qu’elle soit ?

HT. Il y a beaucoup de choses que l’on protège selon la vision que l’on en a ; des espèces emblématiques, des activités culturelles, etc. On fait parfois de la gestion anthropisée sur laquelle on peut se questionner. Les dynamiques de végétations sont-elles semblables aujourd’hui avec les 4 mois de pâture annuels de 20 000 brebis à ce qu’elles étaient avec la faune sauvage ? Le retour de grands prédateurs territoriaux est mal reçu car cela ne facilite pas la tâche au pastoralisme mais quel est l’impact réel sur l’ensemble de la société ? L’humain, dans son désir de conquête et de supériorité, a voulu maîtriser son environnement au point d’avoir perdu cette notion de cohabitation[3].

Question. Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans votre travail ?

HT. Les contraintes sur les choix de gestion, la pénibilité du travail, ça se gère. Les difficultés sont plus fondamentales. La préservation de la nature devrait être inscrite dans les mœurs et dans les cœurs des gens. La préserver c’est avant tout préserver l’ensemble ; la planète, l’harmonie entre l’humain et ce qui l’entoure. Se battre toujours pour quelque chose qui paraît si évident, en tous cas pour moi, c’est parfois fatigant ! Sans parler des politiques publiques, du manque de moyens4, du monde qui ne va pas dans le bon sens… L’individu a son rôle à jouer mais il aurait besoin d’un petit coup de pouce. Ce serait une bonne chose que cela vienne des politiques publiques ! Au lieu de mettre des petits pansements par-ci par-là, quand entrerons-nous vraiment dans le vif du sujet?

Question. Que faudrait-il faire pour assurer une relation durable entre l’humain et la nature ?

HT. Je pense que l’éducation des générations futures est primordiale mais pour le moment cela reste très lié à la volonté et à la sensibilité des enseignants[5]. Bien sûr des structures comme les PNR, les CPIE, etc, ont un rôle important à jouer, mais l’impulsion et les financements devraient provenir de l’état car l’enjeu est de taille ! On doit comprendre que nous avons un besoin vital de préserver la planète et ses ressources et que la surconsommation et la quête de rentabilité sont de pures folies !

Question. Qu’est-ce qui vous motive à persévérer ?

HT. J’avoue que parfois j’ai un peu envie de baisser les bras, mais globalement je me dis que je fais ce travail parce que j’y crois, parce que c’est nécessaire et important et parce que je suis une petite pierre mais, je pense, utile. Plus égoïstement, j’aime observer ce qui se passe, contempler tout ce monde-là, essayer d’en faire partie. Je ne me verrais pas dans un métier trop déconnecté de la nature et de l’environnement. C’est un métier qui peut faire rêver et c’est plutôt bon signe ! Les gens ont conscience que c’est nécessaire.

Question. La protection de la nature s’inscrit-elle dans la durée ?

HT. D’une manière générale on cherche à accompagner le développement naturel tout en ayant le moins d’impact possible dessus. Le plan de gestion[6] est construit en général sur dix ans et les actions peuvent être répétées d’un plan à l’autre, sans limites. Aujourd’hui on détruit plus vite qu’on ne répare. On est plutôt dans l’urgence et dans le constat que dans l’anticipation. Mais on peut aussi travailler sur du long terme. Il y a 30 ou 40 ans, il n’y avait ni bouquetins, ni vautours, ni chamois, ni cerfs parce que toutes ces espèces avaient disparu car trop chassées. Maintenant il ne se passe pas une journée sur le Vercors sans voir une de ces espèces. On peut faire changer les choses[7]!

Question. Notre tentative de renouer une relation par des « activités de nature », ne risque-t-elle pas de devenir problématique[8]?

HT. On sait par exemple que le dérangement en montagne notamment hivernal nuit beaucoup à certaines espèces. Nous sommes de plus en plus nombreux mais il est possible de tout concilier ! J’aime aussi faire du ski de randonnée, profiter du calme… On a besoin de ressentir ce bien-être que nous procure la nature pour progresser. Beaucoup d’auteurs ont écrit que l’on a perdu ce lien avec notre environnement. C’est cela qui a créé sa perte et sa dégradation. On aura toujours un impact mais zéro impact voudrait dire zéro humain. Je ne suis pas sûr que ce soit la solution. Je pense que l’éducation est nécessaire aux changements de comportements (éviter les zones protégées, être le plus discret possible, ne pas laisser de traces) et de mentalités, nécessaire à la vie en harmonie avec la nature. Certains peuples y arrivent ou y sont arrivés, donc c’est possible. Je pense qu’on progresse. J’espère.

Question. La sensibilisation est donc importante ?

HT. C’est un des grands rôles des réserves naturelles et des espaces protégés en général et ça fait partie des missions des Réserves Naturelles : « protéger, gérer et faire découvrir ». Une chose importante dans ce métier est de partager des messages. Globalement la préservation de la nature passe en second plan. Alors que c’est le fondement de notre existence. C’est sûr que ça se médiatise, ça sort de l’eau mais les politiques publiques ne suivent pas et on fait plutôt du greenwashing. Même si on prend en compte l’importance de la préservation de la nature, on en est encore au balbutiement. Je suis persuadé que ça reste très utile de protéger strictement certains endroits mais ce serait bien que la protection de l’environnement soit plus ancrée dans la façon de vivre des humains.

Illustration : Baptiste TESTI


Question. Comment voyez-vous évoluer notre relation avec la nature à l’avenir ?

HT. Personnellement je pense qu’on essaie de sauver les meubles, le processus est déjà trop engagé. On commence tout juste à se rendre compte des dégâts. L’érosion de la biodiversité[9], les hausses de température[10]... si on s’en rend compte à notre échelle, c’est que c’est vraiment énorme. C’est un métier qui demande beaucoup d’humilité et qui nous amène à nous remettre en question tous les jours! On gère la nature parce qu’on la détruit. On la gère aussi parce qu’on en a besoin et pour l’exploiter au mieux. Je ne dis pas qu’on réussit mais c’est aussi pour ça. L’humain ne peut pas vivre sans la nature, sans ses ressources... mais à quel prix ? C’est important de se poser des questions, et de se les poser ensemble. Il ne faut pas oublier de créer le lien !

Comment aimer sans connaître, sans comprendre ? La connaissance de la nature et le partage devraient être les leviers pour ancrer cette relation au plus profond des mœurs. Tel Cupidon à cours de flèches, le gardien de l’intégrité du vivant se voit désemparé devant l’ampleur de sa mission. Il n’y renonce pas pour autant, conscient de l’importance fondamentale de son rôle et porté par le bien-être qu’il lui procure. Un changement de paradigme est nécessaire ; la crise actuelle en est l’illustration[1]1. Comment agir ? Par quoi commencer ?

Renforcer l’éducation à l’environnement, promouvoir la recherche en écologie et sa vulgarisation, adapter les politiques publiques en matière d’aménagement, augmenter les moyens dans les espaces naturels protégés, augmenter leur nombre… tout cela est encore faisable !

L’humilité semble être une qualité oubliée qui permettrait pourtant de se positionner avec justesse. L’individu actif n’aura alors plus besoin des flèches de Cupidon qui pourra enfin reprendre sa place dans la mythologie. Vivre ensemble sur un plan d’égalité, apprendre à se connaître, partager, se remettre en question, agir...; ingrédients classiques d’une romance dont nous serions les protagonistes et qu’il s’agirait de ne pas prendre à légère si nous voulons conclure un jour par ce fameux « ils vécurent heureux » !

Si les gens sont convaincus du bien-fondé de l’histoire, ils en seront les premiers gardiens.[12]



Références
1. Fabrégat, S. Mieux concilier activités humaines et préservation de la nature. Actu-Environnement https://www.actu-environnement... (2014).
2. Génot, J.-C. Écologiquement correct ou Protection contre nature ? (1998).
3. Green, G. L’Homme peut-il cohabiter avec les animaux sauvages ? Futura https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/biodiversite-homme-peut-il-cohabiter-animaux-sauvages-81471/.
4. Radisson, L. Biodiversité : un bilan pathétique pour la mise en oeuvre de la loi de reconquête. Actu-Environnement https://www.actu-environnement... (2020).
5. Novel, A.-S. Enseignement supérieur : ces profs qui rusent pour parler des enjeux écologiques. (2019).
6. Danancher, D. & Faverot, P. Gestion des espaces naturels : des notions simples pour comprendre. 28 (2016).
7. Introduction, réintroduction ou retour naturel ? Parc national du Mercantour http://www.mercantour-parcnational.fr/fr/des-actions/connaitre-et-proteger/introduction-reintroduction-ou-retour-naturel.
8. Perrin-Malterre, C., Chanteloup, L. & Gruas, L. Nouveaux usages récréatifs en moyenne montagne et impacts sur la faune sauvage emblématique. Les carnets du Labex ITEM https://labexitem.hypotheses.o... (2017).
9. Godet, L. Des solutions existent pour protéger la nature. (2018).
10. Lejeune, Y. et al. 57 years (1960–2017) of snow and meteorological observations from a mid-altitude mountain site (Col de Porte, France, 1325m of altitude). Earth System Science Data 11, 71–88 (2019).
11. Soubelet, H., Silvain, J.-F., Delavaud, A., Sarrazin, F. & Barot, S. Covid-19 et biodiversité : vers une nouvelle forme de cohabitation entre les humains et l’ensemble des vivants non-humains. Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) 7 (2020).
12. Therville, C., Konieczka, N., Santune, V. & Bioret, F. La mise sous cloche est un cliché | Espaces naturels. http://www.espaces-naturels.in... (2013).