[Interview] Le finaliste grenoblois du concours “Ma thèse en 180s” lève le voile sur ses recherches !

Publié par Sandy Aupetit, le 28 avril 2016   4.2k

Guillaume Plassan, le finaliste grenoblois du concours international “Ma thèse en 180 secondes” a accepté notre invitation dans le Magazine des sciences. Il se confie sur les raisons qui l’ont poussé à participer à cette aventure et nous dévoile un peu plus son travail de recherche au quotidien. Et en exclusivité sur Echosciences, retrouvez à la fin de cet article des questions INEDITES !


Interview réalisée par Julien Ridouard, Sandy Aupetit et Valentin Labelle,
chroniqueurs hebdomadaires du Magazine des sciences.


Est-ce facile ou difficile de parler de ses travaux de thèse à un public néophyte ?

C’est assez facile de parler de son sujet de thèse, mais c’est difficile de le vulgariser. Parler, on le fait tous les jours, on parle avec les collègues, on essaie de vulgariser avec la famille, avec les amis, qui ne comprennent généralement pas ce qu’on fait d’ailleurs ! Donc l’exercice de parler, en lui même, est simple, mais se faire comprendre par contre, ça devient difficile !


Vous représentez donc la Communauté Université Grenoble Alpes, d’où vous est venue cette idée de participer à ce concours, c’est un exercice un peu hors norme pour un doctorant non ?

C’est un exercice hors norme on peut le dire oui ! Je sais qu’il y a même certains directeurs de thèse - pas de mon côté - qui considèrent que cela n’a aucun intérêt, qui se demandent « Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Tu es sensé faire de la recherche, et pas sensé aller parler aux gens, de toute façon les gens ils ne comprennent rien c’est normal ».


Et pourquoi vous alors ?

Moi ça me paraît aberrant de dire ça justement, parce qu’au contraire, ce qui apporte quelque chose à la recherche, c’est d’en parler, c’est que les gens sachent de plus en plus de choses, apprennent des choses. Personnellement ça me paraît extraordinaire ce concours, car ça mélange plusieurs de mes passions : la passion des sciences, du théâtre, la passion d’apprendre et d’expliquer les choses. Donc ça me paraît vraiment aberrant de dire que « les sciences ce sont des choses dures que l’on fait dans son couloir, et on ne va pas l’expliquer au grand public ».


Alors comment vous-êtes vous préparé pour ce concours ? Quelles ont été les principales difficultés ?

Je pense que la principale difficulté de l’exercice, c’est de trouver ce que j’aime bien appeler le « noeud dramatique » de l’histoire. C’est vraiment l’élément principal de notre thèse, à partir duquel on va étirer un peu le sujet, à partir duquel on va trouver des analogies, des métaphores, qui parle au public. Chaque sujet de thèse est tellement complexe, avec tellement d’imbrications, de possibilités... que trouver l’élément qui va parler au public et l’élément qu’on peut simplifier, c’est ça le plus dur. Ça arrive au début, et une fois qu’on l’a trouvé ça va un peu mieux !


Prestation de Guillaume Plassan pendant la finale grenobloise du concours MT180 le 26 avril 2016 au musée de Grenoble. Crédit : Communauté Université Grenoble Alpes


Vous travaillez dans le laboratoire TIMA, Techniques de l'Informatique et de la Microélectronique pour l'Architecture des systèmes intégrés. Et votre sujet de thèse s’intitule « Vérification semi-formelle des propriétés de systèmes multi-horloges ». Vous pouvez nous en dire un peu plus ?

Oui ! Il faut savoir aussi que je suis en thèse CIFRE, c’est à dire que je suis en thèse à la fois dans un laboratoire de recherche et aussi dans une entreprise. Ça permet d’avoir un sujet qui est concret, appliqué. Cet après midi, j’étais au téléphone avec un client. Ça permet de concrétiser les thèses vraiment très théoriques qu’on pourrait avoir dans un labo.


Quel est le nom de votre entreprise ?

C’est Synopsys, une entreprise qui n’est pas très connue du grand public et qui est pourtant n° 1 dans les logiciels qui permettent de faire de la microélectronique.


Et votre sujet de thèse alors, racontez-nous !

Mon sujet de thèse pour le comprendre au mieux, il faudrait regarder les trois minutes évidemment ! Pour faire court, ici, je dirais que dans les téléphones par exemple, on a des circuits électroniques, qui sont tout tout tout petits, et les fabriquer, ça coûte des millions et des millions. Par exemple fabriquer le processeur, la centrale de calcul de votre téléphone, ça coûte - juste en fabrication - 30 à 40 millions, ça dépend des processeurs. Si jamais on fait une erreur à l’intérieur, et qu’on lance la fabrication, et bien c’est 30 à 40 millions qui sont perdus ! Sans compter les téléphones qui ne fonctionnent pas. Si jamais la centrale de calcul va dans un avion, c’est l’avion qui ne fonctionne pas. Si elle va dans un train, c’est pareil. Si elle va dans un pacemaker, c’est le pacemaker qui ne fonctionne pas ! Donc il faut être vraiment certain, avant la fabrication, que notre puce fonctionne. Le but de ma thèse, c’est de mettre en place des méthodologies pour vérifier que ces puces fonctionnent.


Est ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce processeur ?

Sur le processeur... Moi, je travaille à un niveau où le circuit même n’est pas important. On peut travailler sur des processeurs qui peuvent aller dans n’importe quel téléphone pour n’importe quelle marque. En fait, le problème est très très complexe. Dans un processeur, il peut y avoir des millions de transistors. Les transistors, ce sont les composants les plus petits que l’on a dans les circuits électroniques. Ils fonctionnent un peu comme un robinet, on peut l’ouvrir ou le fermer. Quand on l’ouvre, il laisse passer un 1. Quand on le ferme, il bloque et c’est un 0. Ça, c’est le système binaire qu’il y a dans tous les ordinateurs, le 1 et le 0. Et des transistors comme ça, qui peuvent avoir les valeurs 1 et 0, dans les processeurs, il y en a des millions. Et c’est tellement complexe à vérifier, ils sont tellement interconnectés les uns avec les autres, que c’est impossible de les vérifier à la main. C’est impossible même de les vérifier en les regardant avec un ordinateur ou quoi que ce soit. Donc il faut vraiment développer des formules mathématiques, des logiciels, des choses très complexes qui vont analyser automatiquement les transistors, et dire « ok, là ils sont bien interconnectés, ça va donner quelque chose de fonctionnel derrière ».


Guillaume Plassan dans le studio de RCF Isère lors de son interview dans le Magazine des Sciences.

Alors au quotidien, vous programmez c’est ça ?

Oui, parce que dans mon entreprise, et avec mon laboratoire, je travaille sur des logiciels en fait, je ne conçois pas les circuits directement. Je fournis à mes clients des logiciels, qui leur permettent de vérifier leurs circuits. Je travaille principalement devant un ordinateur, à « faire du code » comme on dit, je programme des logiciels, des algorithmes, qui vont vérifier les circuits. Au final, je fournis avec mon entreprise un logiciel. Le client qui nous achète le logiciel, lui, il va l’utiliser sur son processeur, sur son circuit. À la fin, il a son résultat, qui va lui faire gagner des millions.


Et justement vous parlez de votre entreprise, quel est le lien entre la science, le savoir, et le monde de l’entreprise par exemple ? Où est la place du savoir dans votre thèse ?

Les techniques que j’utilise tous les jours dans ma thèse, ce sont des choses qui ont été développées dans les 30 dernières années, même avant. On peut considérer que les maths, c’est encore plus vieux que ça ! J’utilise le savoir qui a été engrangé au fur et a mesure des gens. Il y a des gens qui ont gagné des médailles Fields, des médailles d’or du CNRS pour ça. Toutes ces connaissances qui ont été trouvées au fur et à mesure par des mathématiciens, par des informaticiens, par des spécialistes des composants, de la microélectronique, de la matière, des semi-conducteurs, qui sont la matière principale dans les circuits électroniques, tous ces gens là ont engrangé des connaissances, et c’est grâce à ces connaissances que je peux travailler aujourd’hui. J’utilise tous les jours des formules mathématiques qui ont été développées, peut être il y a 20 ans, ou peut être il y a 6 mois. Tout ça, c’est un ensemble de connaissances qui mènent à la fin à faire ma thèse en particulier et plein d’autres thèses...


Et quel est le lien avec le « réel », les composants ? Comment mariez-vous ces équations avec votre ordinateur, et puis les problématiques concrètes sur le processeur ?

Pour répondre à cette question, j’ai besoin d’expliquer comment est-ce qu’on fabrique un processeur. Pour fabriquer un processeur, comme je vous le disais tout à l’heure, il y a des millions de composants. On ne peut pas les faire à la main. Ce n’est pas de la soudure comme on en faisait en techno en 3ème ! C’est absolument impossible ! D’une part parce que c’est trop petit, le fameux transistor dont je parlais tout à l’heure, il fait 20nm, c’est la taille d’un diamètre de cheveu après avoir été coupé en 10 000. À l’oeil nu, c’est impossible de le voir, et le souder avec les grosses pattes de notre fer à souder, c’est encore plus difficile ! Donc forcément on est obligés de passer par un ordinateur qui va en quelque sorte zoomer pour nous, travailler pour nous. Mais pour faire ça, même si on a un ordinateur qui zoom on ne peut pas mettre les transistors les uns à coté des autres comme ça, car il y en a des millions. On est obligés de prendre un « niveau d’abstraction » un peu plus élevé et se dire qu’on ne va pas dessiner des transistors, on va dessiner des fonctions générales, par exemple « faire une addition », « faire une multiplication », et l’ordinateur sait comment « synthétiser », c’est à dire comment traduire l’addition en transistor. Donc l’ordinateur on va lui dire « fait une addition là, fais en une autre là, une soustraction ici, affiche quelque chose à l’écran » et l’ordinateur va tout seul savoir comment transcrire ça en transistor. Donc c’est vraiment un intermédiaire entre l’humain et le matériel. Et c’est ce qui me permet de travailler, car comme ça, je n’ai pas à travailler directement sur les transistors. Je travaille sur ce que l’humain fait, donc sur ces additions, soustractions et ces formules.


Vos travaux mènent donc déjà à des applications concrètes, c’est à dire que vous avez vraiment des clients qui utilisent votre logiciel, ça doit être assez gratifiant d’avoir ces applications là ?

Oui c’est vrai, c’est l’avantage des thèses CIFRE qui sont en entreprise. On travaille pour une entreprise qui a quand même un but derrière. Généralement, disons que c’est pour faire de l’argent, et donc d’avoir une application concrète qui est vendue à des gens, contrairement à un laboratoire de recherche qui, lui, a pour objectif de faire avancer la science, d’engranger de nouvelles connaissances, mais pas forcément de vendre un produit derrière. Il y en a qui le font, mais ce n’est pas la majorité. Mais oui c’est assez gratifiant !


Ré-écoutez l'intégralité de l'émission ici :


En exclusivité sur Echosciences, nous n’avons pas résisté à lui poser des questions supplémentaires ! Regardez d’abord sa prestation et découvrez ensuite ses réponses.

Dans votre présentation vous expliquez que ce processeur est composé de plusieurs “sous - unités”, plusieurs “services”, qui parlent des langues différentes, pourquoi il n’y a pas de langue universelle ?

En fait il y en a une, c’est comme ça que les processeurs étaient faits il y a encore 10 ans environ. Sauf qu’on s’est rendu compte que, si chaque composant avait sa propre langue - sa propre fréquence d’utilisation - et bien ils étaient optimisés. C’est un peu comme si on était dans un domaine très spécifique, et on parle le jargon de son domaine. Par exemple si on utilise des acronymes, ça permet d’aller beaucoup plus vite. Pour les composants c’est pareil, dans leurs petits services ils utilisent des acronymes, leur propre jargon, et du coup les autres ne les comprennent pas.


Et vous parlez de faire passer des sortes d’examens comme le Bac d’anglais ou le TOEIC, pour que les différents services se comprennent, en quoi ça consiste ?

En fait, quand on dit qu’on passe un bac d’anglais ou le TOEIC, c’est un certificat qui ne peut pas assurer qu’on est parfaitement bilingue. C’est quelque chose qui est un petit peu réducteur parce qu’on ne va vérifier qu’un sous-ensemble de la langue. Pour moi, ça va être pareil au niveau des composants, on ne peut pas vérifier tout exhaustivement. C’est impossible, c’est beaucoup trop complexe. Les millions de transistors, ils peuvent avoir plein de valeurs, donc on va vérifier un sous-ensemble qui est réaliste et qui sera le mode d’utilisation final du téléphone par exemple. On modélise le processeur, le circuit, grâce à des fonctions mathématiques, c’est le modèle à vérifier. Et d’un autre côté, on va modéliser ce qu’on aimerait bien avoir comme comportement, avec des fonctions mathématiques, même si en réalité c’est d’un beaucoup plus haut niveau que ça. Et on va vérifier que notre modèle du circuit concorde bien avec ces modèles de propriétés à vérifier.


Et où en êtes-vous dans la rédaction de votre thèse ?

Je n’ai pas commencé ! Je suis en deuxième année. Généralement, la rédaction de la thèse démarre en troisième année. Pour l’instant, j’ai pu écrire des articles de recherche qui sont soumis à des conférences ou à des journaux. Souvent, les articles qu’on a écrit sont intégrés dans le manuscrit de thèse d’une manière ou d’une autre. On se ressert de certaines parties en tout cas. Donc on peut dire que j’ai commencé à écrire grâce à ça mais je n’ai pas écrit le manuscrit en tant que tel.


Retrouvez les prestations de tous les candidats lors de la finale grenobloise sur la chaîne Youtube de la Communauté UGA , ainsi que le communiqué officiel sur la page du Collège doctoral.