La réalité virtuelle au service de la conception de systèmes industriels complexes

Publié par L'Ouvre-Boîte - Université Grenoble Alpes, le 17 décembre 2025   2

Et si avant même leurs constructions, on pouvait mieux maîtriser les risques liés au développement d’un réacteur de fusion nucléaire ou d’un lanceur spatial réutilisable ?
À Grenoble, sur la plateforme technologique Vision-R, Romain Pinquié et son équipe s’appuient sur la réalité virtuelle pour améliorer les outils de conception collaborative et multidisciplinaire sur de grands projets scientifiques et industriels.
Présentation en vidéo des équipements de la plateforme

Du jeu vidéo jusqu’au laboratoire

Longtemps cantonnée au jeu vidéo, la Réalité Virtuelle (VR) désigne un environnement numérique immersif dans lequel un ou plusieurs utilisateurs, immergés sensoriellement, peuvent interagir en temps réel avec des objets et des phénomènes simulés.

Pour créer une expérience de réalité virtuelle convaincante, il faut reproduire la vision stéréoscopique. Les visiocasques présentent à chaque œil une image légèrement décalée, imitant ainsi notre vision binoculaire. Le cerveau fusionne ces deux images pour donner la sensation de profondeur et de relief.

Les équipements immersifs du laboratoire G-SCOP

Le laboratoire G-SCOP dispose de la plateforme Vision-R, qui permet de concevoir, de tester et d’industrialiser des environnements industriels en immersion.

Une femme teste la réalité étendue dans un CAVE, Cave Automatic Virtual Environment
Crédits photos : Direction de la Communication - UGA
  • Des visiocasques de réalité virtuelle, composés d’un écran stéréoscopique et de lentilles placées entre les yeux et l’écran, projettent les images et adaptent l’affichage en fonction des mouvements de la tête, grâce à un système de suivi de position.
  • L’écran holographique / stéréoscopique permet d’afficher une image en 3D sans casque, ni lunettes.
  • Le bras haptique restitue un retour d’effort au toucher. Il est utilisé pour former des opérateurs à certains gestes, étudier l’ergonomie d’un poste de travail ou simuler la manipulation d’outils complexes.
  • Le CAVE (Cave Automatic Virtual Environment) est constitué de deux murs et d'un sol sur lesquels des images sont projetées. L’utilisateur, équipé de lunettes 3D et de contrôleurs, voit son environnement virtuel, composé d’objets virtuels 3D, s’adapter à ses mouvements grâce à un système de suivi.
    Pour augmenter le niveau de présence*, il est même possible d’y introduire des objets réels dont la position et l’orientation sont synchronisées avec celles de ses jumeaux virtuels : l’utilisateur peut ainsi tester la maniabilité ou le poids d’un outil physique tout en évoluant dans un décor virtuel.

* La présence est l'état psychologique dans lequel un individu ressent le sentiment d’“être là” (« being in ») dans un environnement virtuel comme s’il y était physiquement, tout en sachant qu’il s’agit d’une simulation.

La réalité virtuelle au laboratoire G-SCOP est un véritable levier d’innovation qui transforme la manière de concevoir et de collaborer dans l’industrie.

Anticiper l’ingénierie du futur pour des systèmes complexes

Le scientifique reproduit sur l'ordinateur la position d'un ouvrier de maintenance et vérifie la dose d'irradiation estimée.
Crédits photos : Direction de la Communication - UGA

Les systèmes complexes tels que le réacteur de fusion thermonucléaire ITER, sa version commerciale DEMO, ou le lanceur spatial réutilisable Themis sont des programmes d’envergure qui nécessitent de nouveaux moyens pour maîtriser les risques de développement.

Avant même que le réacteur ne soit achevé, les ingénieurs d’ITER, en collaboration avec les équipes de l’Institut de Recherche sur la Fusion par confinement Magnétique (CEA IRFM), doivent concevoir sa maintenance et son démantèlement. Les technologies immersives permettent à un opérateur de simuler une activité de démontage, pendant qu’un ergonome évalue les risques de troubles musculosquelettiques et qu’un ingénieur nucléaire évalue l’exposition aux rayonnements.

Ces environnements virtuels permettent à des équipes multidisciplinaires de mener des revues de conception du système. Elles vérifient que chaque élément respecte les normes de fonctionnement, de sécurité et d’environnement.
Ces outils peuvent également être utilisés pour la co-conception de systèmes complexes, où l’on développe en parallèle le produit : par exemple un lanceur spatial réutilisable ; et son système industriel, comme le système de transport ou d’assemblage.

Les atouts de la réalité étendue

Les scientifiques peuvent étudier plusieurs prototypes sans avoir à les construire physiquement. Cela leur permet de vérifier leurs hypothèses et de décider du choix de conception le plus approprié.

Dans un même espace virtuel, chaque professionnel travaille autour d’un modèle 3D compréhensible par tous. La collaboration devient multidisciplinaire et interactive : chaque acteur apporte son expertise métier. Par ailleurs, l’environnement virtuel immersif étant infini, chaque utilisateur peut afficher et partager toutes les représentations visuelles – 3D ou 2D - nécessaires à la prise de décision multicritère.

La manipulation des objets virtuels en trois dimensions permet de réaliser des tâches telles que le passage de câbles ou de tuyaux, ou le montage-démontage de pièces, en effectuant des gestes naturels grâce à la capture en temps réel des mouvements.

Les limites actuelles

Malgré ses atouts, la réalité virtuelle appliquée à la conception industrielle se heurte encore à plusieurs obstacles.

Concevoir un environnement virtuel adapté à différentes disciplines requiert une grande souplesse de représentation. Chaque métier utilise ses propres outils et représentations (schémas 2D, modèles 3D, diagrammes fonctionnels). Ils produisent une multiplicité de modèles hétérogènes, très codifiés, souvent incompatibles ou redondants, et fragmentent la vision d’ensemble nécessaire à la conception d’un système complexe.

L’un des grands défis du laboratoire G-SCOP est donc de rendre ces représentations compatibles et flexibles en s’adaptant aux préoccupations métier de tous les acteurs impliqués.

Quand l’immersion redessine la collaboration

Des lunettes 3D et des manettes de console Wii où des mires sont ajoutées pour permettre le suivi des mouvements par les caméras
Crédits photos : Direction de la Communication - UGA

Les recherches menées par Romain Pinquié et son équipe, en collaboration avec l’éditeur logiciel Skyreal, au sein du laboratoire commun ANR MIMESIS ne se limitent pas au développement logiciel. Elles explorent aussi l’impact de ces environnements sur la collaboration médiée par le numérique, et notamment la manière dont les représentations visuelles influent sur les activités de conception collaborative et les processus cognitifs des utilisateurs. Ces études font partie d’un grand programme de recherche, le PEPR eNSEMBLE. Il a pour but de redéfinir les outils numériques pour la collaboration en rassemblant des scientifiques de toutes disciplines.

Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche.