Le cours UGA FabLabJamSession à La Casemate avec les Compagnons du Devoir: dans les yeux de Zénaïde et de Florian.

Publié par Joel Chevrier, le 15 juin 2023   770

Introduction : 

Résister au chaos, exposition finale à la Casemate du cours UGA FabLab Jam Session 2023 

Une réflexion autour du « Faire ensemble » 

Pour la seconde fois, des itinérants de la maison de Saint-Egrève se sont investis dans le cours FabLab Jam Session. FabLab Jam Session est un cours issu d’un partenariat entre le CCSTI La Casemate et l’Université Grenoble Alpes. C’est un projet transdisciplinaire qui a réuni une trentaine de jeunes aux parcours variés. Chapeautés par Tristan Hamel, FabManager et Joël Chevrier, professeur de Physique à l’Université Grenoble Alpes (UGA), des étudiants de tous niveaux - issus de l’ENSAG*, de l’ESAD**, de l’INP-ENSE3***, et de l’UGA (de disciplines variées dont le génie mécanique) -, ont de janvier à mars réfléchi, puis concrétisé une production exposable sur le thème de « l’anthropocène ».

Zénaïde Dubois, dite Flamande, Aspirante ébéniste, et Florian Martin, Angevin, Aspirant plombier, reviennent sur ces mois pendant lesquels ils ont été immergés, ainsi que quatre autres itinérants, dans un univers inconnu.

Zénaïde Dubois, dite Flamande, est  aspirante ébéniste

« Le projet du Fablab Jam Session s’est déroulé en huit séances au fablab de la Casemate, le Centre de Culture Scientifique, Technique et Industriel de Grenoble. Le CCSTI de Grenoble est la première structure du genre créée en France en 1979. Lors de notre première rencontre, nous avons visité le fablab qui possède un grand nombre de machines en tous genres intervenant sur des matières diverses comme le bois ou le plastique : des imprimantes 3D, des découpeuses laser, une brodeuse et une fraiseuse numériques, un plotter de découpe, une presse à chaud, etc. Tout ce qui est dessinable sur ordinateur est fabricable au fablab. C’est une tout autre démarche que celle à laquelle nous sommes habitués dans nos métiers dits « manuels". L’idée est véritablement de fabriquer ce que l’on veut à partir de fichiers ressources disponibles en ligne et issus du monde entier.

Puis nous avons formé des groupes de trois ou cinq jeunes en fonction de nos parcours qui devaient impérativement être différents et de nos centres d’intérêt en rapport avec le « monde de demain » : gestion de l’eau et de l’énergie, protection de la biodiversité, etc. Chaque groupe devait réaliser au terme des séances une production exposable : il pouvait s’agir d’un dispositif, d’une maquette ou encore d’une œuvre... Cependant, le plus important n’était pas tant de fabriquer un objet quelconque que de mener en commun une réflexion sur l’aspect du thème choisi.

Avec les cinq autres membres de mon groupe, nous avons pris le temps de discuter de la problématique pour laquelle nous avions opté, puis défini ce que nous allions réaliser à partir de là : les noyers poussant à profusion tout autour de Grenoble, nous avons décidé de transformer les coquilles de noix en un matériau de fabrication viable. Après les avoir broyées, nous avons testé des recettes les mêlant à d’autres matériaux d’origine alimentaire ou comme le bioplastique. Très honnêtement nous tâtonnions énormément – nous avons même essayé de broyer de la coquille Saint-Jacques ! -et avons obtenu des textures vraiment variées, allant de moelleuse à très dure. On a fini par obtenir une matière qui répondait à nos attentes. Avec la découpeuse laser, on a créé un tamis, puis finalement, avec l’assistance d’un animateur du fablab, nous avons imprimé un moule de bol en 3D, dessiné par l’une d’entre nous. Celui-ci n’est pas étanche, mais esthétiquement, le bol en céramique « de noix » correspondait à ce que nous espérions. En parallèle, nous avons préparé une documentation sur les étapes de fabrication de notre projet, le but étant de partager celle-ci sur internet pour un partage universel. Au terme du projet, une exposition à la Casemate comprenant un descriptif de nos démarches nous a permis de présenter au public le résultat de nos efforts.

Si certains étudiants impliqués étaient notés à l’occasion de ce projet, la participation reposait sur le volontariat pour les autres : il y a ainsi eu quelques défections (4 au sein de mon groupe). J’ai moi-même dû m’accrocher, car en raison de mes stages, souvent j’arrivais en retard à la séance et avais donc raté une partie des échanges. J’aurais eu envie de pouvoir en faire plus ! Parfois aussi on peut ressentir un malaise à cause du décalage de point de vue avec les autres étudiants.

Cependant, je retiendrai de cette expérience beaucoup de points positifs : l’exposition m’a paru très satisfaisante d’une part et pouvoir échanger avec des jeunes hors des Compagnons a été un vrai bol d’air d’autre part. J’ai été épatée par la créativité de tous ! Lors d’un tel projet, on s’aperçoit que la réunion de quelques personnes peut vite mener à la naissance de très bonnes idées : un potager miniature, des habits pour les Personnes à Mobilité Réduite, une dynamo pour produire de l’énergie entres autres concepts sortis de ce Fablab Jam Session… Il me paraît incroyable qu’en si peu de temps, on puisse concrétiser tant !

Florian Martin, dit Angevin, est aspirant plombier

« Lorsque le prévôt nous a présenté le projet du Fablab Jam Session lors d’une réunion communautaire en fin d’année, j’ai tout de suite été partant. Ayant bien avancé dans ma progression, j’avais du temps à disposition : j’allais avoir l’opportunité de rencontrer d’autres personnes hors de la maison et aussi de penser à autre chose qu’au travail.

Nous étions cinq dans mon groupe : trois itinérants – l’un chaudronnier, l’autre menuisier et moi –, Valentine, étudiante en master à l’ENSAG, et Juliette, étudiante en de 2ème année de licence Sciences et Design à l’UGA. Nous nous sommes trouvés réunis notamment par nos passions, notre intérêt commun pour certains sujets de société… Au début, nous souhaitions consacrer nos recherches au changement climatique, mais dès la semaine suivante, nous nous sommes réorientés vers la question de la gestion de l’eau. Elle peut sembler abondante à tous, alors qu’en réalité elle se fait rare. Nous nous sommes interrogés sur la manière d’obtenir de l’eau potable sans raccordement à disposition.

A la suggestion de nos deux camarades étudiantes, nous avons pensé créer une maison de taille réduite avec un réseau d’eau en proportion. Mais nous avons dû encore remettre en question ce concept à la séance suivante car la fabrication d’une maquette aurait été bien trop exigeante pour le temps que nous avions. En tant que professionnels de métiers manuels, il nous revenait de dire ce qui était faisable ou non, nos camarades étudiantes n’ayant aucune idée des contraintes de mise en œuvre. Définir une bonne fois pour toute ce que serait notre réalisation a été un soulagement.

L’itinérant menuisier et moi-même avons eu la chance dans ce contexte de bénéficier au fablab d’une formation à la découpe laser. Grâce à cette nouvelle connaissance, nous avons pu réaliser un grand panneau en bois que nous avons gravé ensuite : nous y avons montré les cours d’eau de l’Europe, de la France, et enfin du département. Notre but était de faire visualiser au public la consommation de chaque français, soit plus de 150 litres d’eau par jour. Nous avons ainsi fabriqué des bidons de plusieurs contenances à partir de tubes en PVC récupéré par l’itinérant chaudronnier dans ses chutes d’atelier. Nous avons soudé le plastique de bidons d’un litre et de cinq litres à l’aide d’un pistolet à air chaud. Nous avons acheté en revanche les 4 bidons de 20 litres qui devaient permettre de montrer visuellement 80 litres d’eau (ceux-ci seront réutilisés dans le jardin partagé de La Casemate). Pourquoi tous ces bidons ? Pour montrer ce que nous devrions transporter si nous n’avions pas de raccordement à l’eau courante. Un litre est facilement transportable, cinq aussi, mais le déplacement quotidien de 80 litres devient compliqué, voire ingérable. Or nous consommons actuellement bien plus que cela. Valentine et Juliette ont rédigé le dossier présentant notre démarche tandis que nous trois nous chargions de l’ouvrage. Pour qu’il y ait un réel échange de compétences, elles sont venues voir comment les machines fonctionnaient.

J’ai aimé pouvoir améliorer ma culture personnelle en découvrant toutes ces machines à commandes numériques dont certaines que j’ai pu manipulées en autonomie. Je suis content d’avoir pu rencontrer des étudiants, même si nous n’avons guère eu le temps de parler d’autre chose que du projet. Nous avons eu la chance d’être trois itinérants dans mon groupe. Devoir ressortir jusqu’à 21h le mardi soir après mon travail aurait été nettement plus difficile sans eux. Ce projet nous a permis de mener un projet commun inter métier et de renforcer des liens qui ne peuvent naître que dans de petites maisons comme celle de Grenoble où les itinérants sont obligés de sortir de leurs corps de métiers respectifs. Notre entente a été un véritable atout pour aller au bout, ce dont je suis plutôt fier !

Joël Chevrier, professeur de Physique à l’Université Grenoble Alpes


« En délégation à l’université Paris-Descartes pendant plusieurs années, j’ai eu l’occasion de rencontrer les responsables du pôle d’excellence des matériaux souples des Compagnons du Devoir de Pantin par le biais d’une designer de l’ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle) avec qui je collaborais alors. De fil en aiguille, nos échanges nous ont amenés à penser qu’il fallait créer des croisements pédagogiques entre l’université et les Compagnons du Devoir. C’est ainsi que les itinérants de la maison de St-Egrève ont été associés l’an dernier au projet du Fablab Jam Session qui existe depuis 8 ans. J’étais très content d’accueillir des itinérants en plus des profils qui rejoignent l’initiative chaque année. Le postulat de celle-ci est qu’il faut apprendre par le faire, pas seulement par la production d’écrits et par le discours. Je pensais que la capacité des itinérants à transformer la matière allait susciter le dialogue avec les autres étudiants. Cette année, je suis enchanté de la qualité de leurs échanges, qui était pour moi le premier résultat attendu, non l’exposition. Les itinérants ont su faire comprendre aux étudiants que dans FabLabJamSession, il ne faut pas se contenter de débattre indéfiniment, mais passer à l’action rapidement. Ils ont aussi pris en main les machines facilement en raison des compétences professionnelles qu’ils ont développées. Même si nous étions à leur disposition, nous souhaitions avant tout que l’ensemble des jeunes soient autonomes, se fondant sur leurs connaissances pour faire avancer leurs concepts. La réussite résidait pour moi paradoxalement dans mon inutilité ! Les participants devaient s’appuyer prioritairement les uns sur les autres, ceux ayant un bagage solide devant accompagner les moins expérimentés.L’an prochain, le Fablab Jam Session sera de nouveau ce laboratoire de propositions audacieuses visant à répondre aux 17 objectifs de développement durables des Nations Unies !  En 2023-2024, nous cogiterons encore sur les grands enjeux de la société de demain en période d’Anthropocène. Ce sont les jeunes qui déterminent les sujets au travers des préoccupations dont ils nous font part."

Le texte de cet article est tiré de l’article intitulé "Une réflexion autour du « Faire ensemble » » publié dans la revue "Compagnon du Devoir », le  Journal mensuel de l’Association ouvrière
des Compagnons du Devoir et du Tour de France # 329 / Mai 2023

https://compagnons-du-devoir.com/le-journal-apercu/

Cette expérience pédagogique est le résultat d’une collaboration avec Julien Lecarme, Responsable du service des Instituts de métiers, et Laurent Dumas, Prévôt de Saint-Egrève et Romans sur Isère, chez Les Compagnons du Devoir et du Tour de France