Le secteur aérien pourvoyeur de biodiversité, une envolée inattendue !

Publié par Virginie Girard, le 8 avril 2021   2.8k

2020. Article écrit par Marta Rogosic, Etudiante M2 BEE.

Le 3 Octobre, 2000 citoyen.nes, guidé.es par le collectif Action non-violente COP21(ANV) ont marché dans 10 villes françaises contre l’extension du secteur aérien et pour la réduction du trafic aérien. Ce dernier, d'après ANV, devrait atteindre en 2050 la consommation intégrale du budget carbone de la France. En plus de son caractère polluant, le transport aérien entraîne d'autres impacts écologiques majeurs dont les collisions faune-aéronef et la pollution acoustique. Cependant, tout près des pistes, de vastes milieux préservés profitent à la nature. Comment expliquer un tel contraste ?

Les zones aéroportuaires : pourquoi sont-elles si particulières ?

Les aéroports couvrent 460 km² en France et sont en fait composés à 75 % de surface sans construction pour des raisons de visibilité et sécurité. Il s’agit d’espaces verts clôturés et de ce fait, ils sont protégés d’autres activités humaines comme l’urbanisation ou l’agriculture intensive. Il s’agit principalement de prairies, l’un des milieux naturels les plus menacés en Europe. Ces prairies naturelles sont en général fauchées deux fois par an maintenant ainsi le milieu à un certain stade de succession végétale. L'identité environnementale de chaque zone aéroportuaire dépend du climat, de la géologie et du paysage qui l'entoure. Certains aéroports se caractérisent par des habitats très spécifiques comme les pelouses calcicoles (Brive, Castres), les pelouses siliceuses (Toulouse) ou les matorrals (Perpignan). La particularité des espaces verts aéroportuaires réside dans le caractère double-tranchant de la coexistence des milieux naturels et anthropisés. D'une part les espaces verts assurent une visibilité essentielle dans ces zones mais d'autre part ils constituent un danger potentiel. En effet, la présence de faune, notamment des oiseaux de taille significative peut affecter la sécurité des vols. C’est la raison pour laquelle il est important de mettre en œuvre une démarche pour prévenir et empêcher toute collision entre un avion et un animal. En général, les mesures prises concernent l'évitement de survol de foyers d’attraction comme les sites de nidification, les arbres ou les zones d’accumulation d’eau. En plus des mesures de prévention, certains aéroports ont un service de pompiers qui, à l’aide d’un générateur de cris (fauconnerie), stresse les animaux qui fuient. Outre ces mesures d’éloignement de la faune, les zones vertes des aéroports hébergent des espèces remarquables mais abondent surtout de biodiversité ordinaire, indispensable pour le fonctionnement des écosystèmes. Ce n’est pas étonnant car ces milieux sont exonérés de produits phytosanitaires transformant ces espaces en refuges pour une large gamme d'espèces, notamment les insectes pollinisateurs.

Champ de d’orchis tachetés (Dactyloriza ericetorum), aérodrome Morlaix, source : Association "Aéro Biodiversité" 2015

Le cœur des prairies aéroportuaires – une biodiversité ordinairement riche

Les zones vertes autour des pistes sont devenues le principal objet de recherche de l’association Aéro Biodiversité, aujourd’hui spécialisée dans la biodiversité aéroportuaire. Sur 6 années de fonctionnement sur le territoire français, l’association a récolté plus de 28 000 données d’observations parmi lesquelles 1 250 espèces de plantes (dont 40 espèces d'orchidées), 252 espèces d’oiseaux et 24 espèces de chauves-souris (sur 35 existant en France). Parmi les groupes qui font l’objet d’études, on retrouve aussi les papillons, les insectes pollinisateurs, les escargots et les vers de terre. Le mode de travail de l’association s’appuie sur des protocoles dans le cadre de Vigie Nature qui permettent la participation du grand public et des acteurs impliqués dans la gestion des aéroports.

Les organismes qui profitent le plus des prairies aéroportuaires, exonérées d’insecticides, sont les pollinisateurs qui ont un rôle indispensable dans les écosystèmes et l’économie agricole. Avec le protocole SPIPoll de Vigie Nature, l'équipe de l’association Aéro Biodiversité a constaté une grande richesse taxonomique de ces insectes dont 4 taxons sont notamment présents : les hyménoptères (abeilles, guepes...), diptères (mouches, moustiques, syrphes...), coléoptères (scarabées, carabes, coccinelles…) et lépidoptères (papillons). Ces derniers sont particulièrement intéressants car en plus d’espèces généralistes, un papillon protégé a été observé sur quatre aéroports différents. Il s’agit de l'azuré du serpolet (Phengaris arion), une espèce des milieux herbacés mésophiles (milieu ni sec ni humide) à xérophiles (milieu pauvre en eau), riches en origans et/ou thyms.

En plus de constituer un habitat, les prairies aéroportuaires offrent d’autres services. Pour les chauves-souris et les oiseaux, elles constituent un excellent terrain de chasse. Les résultats d’études menées par l’association Aéro Biodiversité montrent que la hauteur de végétation influence en grande partie la présence des oiseaux autour des aéroports. Plus la végétation des prairies est basse, plus les proies sont visibles, plus il est facile pour eux de se nourrir. Les espèces les plus concernées par les collisions (Étourneaux, Vanneaux, Pigeons, Rapaces, Faucons) ont été majoritairement comptées dans la végétation de moins de 20 cm. Ces connaissances sont nécessaires afin de gérer au mieux la sécurité des zones vertes des aéroports.

L'azuré du serpolet (Phengaris arion) sur Thym précoce, source: PengannelWiki

Convergence des enjeux de sécurité et biodiversité

Malgré l’opposition courante entre les activités anthropiques à fort impact et le milieu environnemental, la gestion des zones aéroportuaires témoigne qu’il est tout à fait possible de gérer conjointement la sécurité aérienne et la biodiversité, tout en respectant les volontés des humain.nes qui les entourent et les besoins des espèces qui s'y trouvent. Les mesures de gestion sont concentrées autour du fauchage car les prairies constituent les habitats les plus représentatifs des milieux aéroportuaires. Les intervalles entre les interventions mécaniques doivent être le plus long possible pour assurer d’un côté le succès reproductif des espèces présentes mais aussi minimiser le risque d’accident animalier qui augmente avec la faible hauteur de la végétation. Il faut aussi faire attention à la période de fauche pour s'assurer que les cycles de vie ne soient pas interrompus (Figure 3). Les fauches tardives sont à privilégier car elles permettent de préserver les étapes du cycle de vie des espèces. De plus, une fauche précoce durant le printemps ou en début d'été pourrait altérer la sécurité aérienne. En effet, à cette période, les jeunes oiseaux inexpérimentés tels que les rapaces, sont plus enclins à entrer en collision avec les avions. Afin de préserver la biodiversité et de permettre à la petite faune de s'enfuir, une des manières de fauche envisagée est de partir de l'intérieur de la parcelle et d’aller vers l'extérieur (fauche centrifuge).

Période de sensibilité aux interventions mécaniques de divers groupes d’espèces dans les milieux ouverts, source : Association "Aéro Biodiversité" 2019

Les aéroports, malgré leur importance pour le 21ème siècle, ne sont pas de bons voisins pour les habitant.es proches d’eux. Les nuisances sonores dirigent les populations vers des milieux plus calmes, laissant un peu de liberté à la nature. D’un autre côté, la nature cherche les refuges, coincée entre les milieux urbains et l’agriculture intensive. Elle s’installe sur les prairies aéroportuaires qui constituent des habitats favorables insoupçonnés pour une large gamme d'espèces végétales et animales, cohabitant alors avec une industrie très polluante au niveau mondial. Avec une gestion adaptée, les prairies aéroportuaires pourraient devenir des zones encore plus riches en biodiversité et voire même, assurer le déplacement de certaines espèces au sein d’une matrice écosystémique. Pour atteindre cet objectif, la collaboration de plusieurs aéroports et des gestionnaires de milieux naturels ainsi que l'éducation des gestionnaires au sein des aéroports doivent être renforcées. Peut-être qu'un jour les plateformes aéroportuaires s'intégreront dans les trames vertes et bleues, dans le respect des contraintes de sécurité aérienne.


Références