Les cafés sciences et citoyens : outils de médiation d’actualité ou dépassés ?

Publié par Jeany Jean-Baptiste, le 26 septembre 2016   2.8k

Entretien avec Gilles Grand, ingénieur au CEA Grenoble, membre actif des Cafés Sciences et Citoyens de l’Agglomération Grenobloise et porteur de projet à la Fête de la science en Isère.


Selon vous, y a-t-il une recette pour organiser un café sciences et citoyens ?

"Oui. Tout d’abord il faut choisir un sujet de science, plutôt d’actualité et qui pose question à la société(); le faire décortiquer par trois experts d’horizons différents en 20 à 30 mn; animer le tout avec un modérateur (il joue un peu le rôle de chef-cuistot) : il présente les experts et introduit le sujet (en 2 à 5 mn). C’est également lui qui met du liant avec la salle en organisant le débat entre les experts et les participants. Compter environ 2h pour aborder un sujet, se forger une opinion et parfois repartir avec davantage de questions que de réponses !! Et puis, il ne faut pas négliger les questions de forme : un lieu convivial, pas trop grand, où il est possible de se désaltérer en buvant un thé ou une bière."

C’est en résumé notre méthode de travail. Elle s’est affinée au fil du temps grâce à la mobilisation des différentes équipes qui ont créé puis animé le café sciences et citoyens de Grenoble.

Une programmation définie de façon collégiale

En début d’année nous nous réunissons pour choisir de façon collégiale les sujets que nous souhaitons traiter, à raison d’un café par mois et relâche l’été. Chaque sujet fait l’objet d’une problématisation: nous en déterminons les contours et les aspects qui nous semblent prêter à débat. C’est à partir de ce travail de débroussaillage que nous allons rechercher les intervenants.

Nous sommes une dizaine dans le comité de programmation avec des compétences en physique, chimie, sciences du vivant, industrie (mais pas encore de représentant des sciences sociales, d’ailleurs on cherche des volontaires !). Nous sommes organisés en petit groupe projet pour chaque café et pour identifier les intervenants, en priorité locaux, nous activons à la fois nos réseaux de contacts personnels et professionnels et le web.

Le web facilite beaucoup nos recherches. Les universités jouent la transparence et publient des annuaires de leurs personnels et de leurs travaux de recherche, alors c’est relativement simple de trouver la compétence souhaitée. Dans l’univers de l’entreprise et dans les centres de recherche moins accessibles plus fermés comme le CEA, c’est plus compliqué et il vaut mieux avoir un contact sur place qui va vous aider à trouver le bon interlocuteur. Nous utilisons également les réseaux sociaux et professionnels comme linkedin.

Mieux on prépare et plus l’improvisation est simple

C’est la conclusion à laquelle nous sommes parvenus avec plus de 15 ans d’expérience au café de Grenoble qui a démarré en 1999. Le travail de préparation est principalement effectué par le modérateur, c’est lui qui explique les “règles” aux intervenants et va déterminer avec eux l’enchaînement des présentations et le pitch de chacun. Nous évitons tous les classiques de la conférence comme les présentations avec power-point par exemple, mais parfois un visuel bien choisi, un graphique bien fait avec des légendes en français peuvent être d’excellents supports pour expliquer. Point de tabous chez nous ce qui importe c’est de s’adapter en fonction des intervenants et de la plus ou moins grande complexité des sujets.

Les intervenants sont à la disposition des participants et ce sont ces derniers qui vont orienter les discussions avec leurs questions. Et là aussi, les intervenants doivent accepter de jouer le jeu. Le modérateur a pour mission de reformuler les questions, d’éviter le jargon compréhensible par les seuls spécialistes, et de permettre à tous ceux qui le souhaitent de poser une question ou d’exprimer un point de vue.

Le média café sciences et citoyens est-il encore d’actualité ou complètement dépassé ?

Là, je vais livrer des réflexions personnelles qui sont le fruit d’un travail d’analyse mené dans le cadre du mémoire de Master 2 de Communication Scientifique et Technique que je suis en ce moment à l’ICM - Université Grenoble Alpes. Eh oui, j’ai repris des études après de nombreuses années d’activités au CEA Grenoble en tant qu’ingénieur- chercheur, dans l’optique de faire de la communication mon métier.

Je me suis particulièrement intéressé au festival Pint of science qui se déroule à Grenoble pour la deuxième année consécutive : “Le but de Pint of science ? Démystifier la recherche scientifique et la faire découvrir au grand public dans un cadre détendu. Parce que non, dans un labo, ça ne se passe pas toujours comme dans les experts.” Dans la forme, ce festival est très proche de nos propres cafés des sciences. Héritage des anglais, le principe est simple : des scientifiques (un doctorant et un sénior) viennent parler dans un lieu convivial, autour d’une bière, de leurs travaux de recherche. Le festival se déroule en temps limité, quelques jours au mois de mai, et dans de véritables bistrots.

Sur le fond, les objectifs de Pint of science sont assez proches de ceux des cafés. Alors je me suis interrogé sur ce qui nous différencie ? Et en quoi ce festival pourrait être complémentaire (ou pas) de notre action ?

Des enseignements à tirer de Pint of science ?

  • Le festival est un événementiel qui présente l’intérêt de se dérouler sur une courte durée. Les médias ont plus de facilité à relayer ce type d’événement qu’un café qui se tient tous les mois.

  • Le festival, démarré en Angleterre, est rapidement devenu international, et s’est doté d’outils de communication professionnels (une charte graphique et un visuel, un site web et un système de réservation des places en ligne…) qui lui confèrent une forte identité nationale et mondiale, alors qu’au niveau des cafés nous revendiquons des identités et une autonomie locales. Le programme est bien relayé sur les réseaux sociaux alors que pour nous il s’agit de pratiques qui peinent à se développer. Une bonne part du budget du festival est alloué aux outils de communication alors que de notre côté ce n’est pas le cas. Notre budget est très faible, utilisé principalement pour défrayer les intervenants qui viennent de loin (de façon bénévole) et leur offrir un repas dans un petit restaurant. Depuis que le site des cafés est hébergé sur la plateforme Echosciences-Grenoble nous bénéficions d’une meilleure audience et d’un relais d’informations plus performant.

  • Force est de constater que notre comité d’organisation et notre public sont plutôt vieillissants ce qui est moins flagrant à Pint of science. Comment intéresser un public plus jeune ? Notre comité d’organisation n’est pas très jeune, composé principalement d’actifs seniors et de retraités (plus facilement mobilisables tout au long de l’année). Dans le cas d’un festival comme Pint of science groupé sur 3 jours, il est beaucoup plus simple de trouver des doctorants volontaires et qui savent que leurs études ne seront pas pénalisées sur le long terme !
  • Notre lieu d’implantation : Le café des arts rue St Laurent, est très convivial mais pas très “branché” pour les jeunes. Le choix du site est également un vecteur d’image et ne doit pas être négligé. D’un autre côté nous sommes maintenant attachés à ce lieu qui nous héberge depuis 2009, alors trouver un autre lieu supposerait qu’il apporte une grosse plus-value en matière d’image. En revanche (mais nous le faisons déjà) intervenir ponctuellement dans d’autres lieux comme EVE sur le campus, est à encourager.
  • Le choix des intervenants : à Pint of Science, la règle est de faire intervenir un doctorant et un chercheur confirmé. Bien sûr il serait intéressant d’avoir de jeunes intervenants au café sciences et citoyens, mais nous n’y arrivons que rarement; devrions nous en faire nous aussi une règle ?

Ces réflexions m’amènent toutefois à me poser la question suivante : notre société évoluerait elle de plus en plus vers une difficulté de mélanges générationnels ? Plusieurs jeunes m’ont parlé de leur manque d’intérêt à participer à des cafés si les gens de la génération de leurs parents sont majoritaires, mais certains trouvent aussi que les seniors ont des avis plus construits pouvant être plus riches … La mixité en âge serait donc souhaitable, mais comment y arriver si l’équilibre est instable à cause de certains stéréotypes sociétaux ?

Comme vous pouvez le constater aux cafés sciences et citoyens à Grenoble nos questionnements sont nombreux et nous n’avons aucune difficulté à nous remettre en cause pour les faire évoluer. Je suis malgré tout persuadé que le format des cafés sciences et citoyens, complètement construit sur la base des questionnements des publics, répond à une réelle demande sociétale et aux objectifs de la Fête de la science en raison de sa convivialité. Le café des sciences de Grenoble a encore de beaux jours devant lui ! Nous vous donnons rendez-vous le 11 octobre à 18h30 au Café des arts pour aborder la question de l’agroécologie: un truc d'écolos ou l'agriculture de demain ?

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