Les Grands Moulins de Villancourt : hier, aujourd'hui, demain ...

Publié par Laurent Ageron, le 28 avril 2015   2.2k

Retrouvez tous les mois un épisode relatant la vie de ceux qui ont façonné ce site emblématique de l'agglomération grenobloise. Réalisation : service des archives municipales de la ville de Pont de Claix.

chapitre 3 : Post tenebras lux...


Où l'on tente un pont entre Newton (1642-1727) et la lumière (2015, année de), les Lumières (1700...) et l'art des meuniers, minotiers et moulins (1846), celui de Villancourt en particulier (1869)... Entre-temps Stendhal publie son «Le rouge et le noir» sous titré «chronique du XIXème siècle», inspiré du fait divers qui conduisit un jeune précepteur sur l'échafaud, à Grenoble en 1828...

Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, la fameuse Encyclopédie est un travail titanesque lancé en pleine Lumières par Diderot et d'Alembert, contre l'obscurantisme : "Un tribunal (...) condamna un célèbre astronome pour avoir soutenu le mouvement de la terre, et le déclara hérétique (...). C'est ainsi que l'abus de l'autorité spirituelle réunie à la temporelle forçait la raison au silence ; et peu s'en fallut qu'on ne défendit au genre humain de penser." peut-on lire en son préliminaire ; l'univers est devenu sans borne grâce à la science et Newton le modèle d'un rationalisme militant. Dans cette droite ligne, naît en 1830 une collection de manuels de vulgarisation scientifique, l'Encyclopédie Roret du nom de son initiateur, qui se propose de mettre l'étendue des connaissances techniques et pratiques à la portée de tous en ayant recours pour les décrire aux experts du temps. "Chaque manuel correspond à un moment de l'industrialisation du pays, un moment dont il est le fidèle reflet", explique Anne Françoise Garçon (1), "ce moment où la bourgeoisie d'affaire prend le pouvoir avec l'aide de la bourgeoisie intellectuelle" ; selon elle, le manuel «s'adresse au praticien, à l'entrepreneur de moyenne et petite envergure».


Rare est Roret


On trouve, daté de 1846 un volume de 500 pages intitulé "nouveau manuel complet du boulanger, du négociant en grains, du meunier et du constructeur de moulins ; nouvelle édition entièrement rénovée et enrichie de toutes les découvertes qui se rattachent à la fabrication du pain, à la construction des moulins et à la connaissance des céréales et légumineuses ; par M. Benoît, ingénieur pour les Usines, Manufactures, Machines etc. ; l'un des fondateurs de l'Ecole centrale des Arts (2)." On y lit la description minutieuse de toutes sortes de céréales, de la meilleure façon de se débarrasser des charançons ou de tourner le pain, la recette du biscuit pour les armées, aussi bien que la façon de déterminer la force des cours d'eau : "L'eau des ruisseaux étant comme celle des plus grands fleuves animée par la gravité c'est à dire par l'attraction centrale de la terre, d'un mouvement plus ou moins rapide, on ne trouvera pas étonnant que la plupart des usines en général et des moulins à farine en particulier soit mue par des cours d'eau." Suivent des "règles" illustrées par l'exemple pour "trouver en mètres cubes la dépense d'un déversoir par seconde" ou les statistiques de production des céréales... Mme Garçon attire notre attention sur la réforme qui concerne dans les années 1870 à 1880 l'organisation administrative des collectivités territoriales, leur transférant la compétence de gestion des espaces publics locaux, et la maîtrise de leurs finances. C'est le moment que choisit Paul Breton, député républicain et patron des papeteries qui écrit à sa femme : "J'ai parlé à M. Jules Simon (3) de la formation de la paroisse du Pont de Claix puis de la formation de la commune ; il m'a conseillé d'attendre la loi qui se prépare sur la décentralisation, le gouvernement ne voulant en ce moment rien faire qui ressemble à une action marquée de la centralisation ; mais peut-être serait-il bon de prendre l'avance en faisant la demande de formation en commune dès à présent." On sait que la demande aboutira deux ans plus tard, après avoir noté que la lettre est datée du 27 avril 1871, un mois avant la "semaine sanglante" qui réprime la Commune de Paris... laquelle venait d'interdire le travail de nuit des boulangers …

Source : Bibliothèque Nationale de France

Revenons à nos Moulins

"Comme dans un moulin, il existe beaucoup de parties mobiles, si un morceau de bois vient à tomber, et reste appuyé contre une des roues, ou sur un des arbres (4) en mouvement, il prend feu et peut occasionner l'incendie du moulin... des meuniers négligents collent quelquefois une chandelle contre un baril ou un poteau et l'y oublient… le pied du gros fer de la meule courante et les tourillons s'échauffent fréquemment et peuvent mettre le feu au palier ou aux arbres", le manuel Roret décline les causes probables des incendies qui accablent les moulins dans un chapitre qui se conclut par un appel aux constructeurs à prévenir soigneusement les défauts tel l'affaissement des planchers sous le poids du grain ; En 1871, la minoterie des frères Dorel à peine construite est détruite par les flammes. Trois ans plus tard le bâtiment reconstruit compte beaucoup plus de fenêtres que précédemment : elles sont passées de 9 à 47... Un en-tête de lettre nous instruit sur l'activité de ce qu'il conviendrait sans doute d'appeler aujourd'hui un consortium : L'en-tête mentionne les noms "Dorel frères" à côté de ceux "Guerin et J - pour Julien, un parent associé depuis 1893 - Dorel" qui seront les successeurs à part entière des frères Dorel en 1901 ; la "Grande Minoterie de Villancourt" dispose de "Moulins à Cylindres perfectionnés", elle est située "près Grenoble (Isère)". Son adresse télégraphique est "Guerin, minotier, Grenoble" et les gruaux de "marque Leroda" viennent de Hongrie ; en outre une "épicerie en gros" propose des "denrées coloniales", au rang desquelles le sucre, qu'Alphonse Guerin vend à Grenoble pour le compte de la famille Lebaudy...

(1) Anne-Françoise Garçon. Innover dans le texte. L'encyclopédie Roret et la vulgarisation des techniques,1830-1880. Colloque Les Archives de l'Invention, mai 2003, Paris. Halshs-003861
(2) Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
(3) Jules Simon (1814-1896), Agrégé de philosophie (École normale Supérieure), homme d’État : député, ministre, sénateur ; membre de l'Académie française
(4) l'arbre de la roue hydraulique