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Neurologie du cendrier vide

Publié par Laurent Vercueil, le 28 avril 2016   4.1k

Si l'on en croit son avocat en Belgique, Sven Mary, le terroriste Salah Abdeslam récemment transféré en France pour y être inculpé et jugé, a "l'intelligence d'un cendrier vide". Cette formule mérite d'être interrogée pour ce qu'elle est : une trouvaille neurologique.

Elle implique nécessairement deux perspectives : celle du cerveau d'un terroriste, et celle du cendrier vide. Mais honnêtement, elle se matérialise dans la vacuité la plus complète.

Du point de vue du cerveau d'un terroriste, cette analogie témoigne d'une immense disponibilité au remplissage le plus trivial : de la cendre, du consumé, du carbonisé. En somme, de la poussière et du vent. Les neurones, les synapses, la connectivité intrinsèque, sont perméables à toute influence, fut-elle la plus fumeuse. Il y manque de la structure, du contenu. Mais neurologiquement parlant, de quoi s'agit-il ?

Le système nerveux périphérique récupère l'information, la transforme en signal électrique et la transmet. La moelle discrimine, véhicule, intègre a minima, tamponne si nécessaire et le tronc cérébral fonctionne comme une moelle à peine élaborée. Le thalamus relaie et diffuse, si nécessaire (appuyant sur un système d'alerte). Le pôle postérieur, que domine l'information visuelle, et qui envahit généreusement l'ensemble du traitement cognitif du primate (comme en témoigne l'effet McGurk, entre autres), doit assurer ses fonctions perceptives habituelles. Le monde visuel du cendrier vide est le nôtre. La région centrale, motrice, agite bras et jambe controlatéraux avec la même fidélité. Les consignes font l'objet d'une mémorisation dans la région temporale interne, où elles sont accompagnées de la coloration émotionnelle idoine, sous l'influence de l'amygdale. Intervient ce qui peut s'appeler un sens critique. Qui évalue, sur la base des expériences passées (la théorie des marqueurs somatiques de Damasio, par exemple, et la région frontale ventromédiane), la cohérence cognitive globale (avec le gyrus cingulaire antérieur qui effectue le monitoring des erreurs), la pertinence sociale (les pôles temporaux et frontaux) et peut se projeter dans la subjectivité de l'autre (l'empathie insulaire). Ce tir de barrage aux sornettes les plus éculées, ce qui empêche tout un chacun d'asservir sa puissance de nuire à la première secte venue, fait défaut au cendrier vide. Le cerveau du cendrier vide accepte toute la misère mentale sans sourciller. De la cendre froide est bienvenue, quelle que fut son odeur et son goût. Et les conséquences qui s'ensuivent.

Du point de vue du cendrier vide, l'aspect neurologique est plus élémentaire, c'est sûr. Ses compétences se limitent à ce qu'il convient d'appeler une assertivité d'objet manufacturé, c'est dire qu'il n'existe que par sa fonction, qui le résume en totalité : accueillir les cendres. Il peut faire l'objet d'un détournement de fonction, on peut y verser d'autres déchets, le brandir de façon menaçante ou le projeter. Mais ce n'est plus un cendrier vide, c'est un objet contondant : c'est à dire, une arme par destination. Ce dernier point n'est pas fortuit.