[PORTRAIT] Raphaël LACHELLO : décrypter le passé des forêts

Publié par Sandy Aupetit, le 2 avril 2021   1.7k

Historien de l’environnement passionné par les sports de montagne, Raphaël Lachello réalise sa thèse au Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA), dans le cadre du Cross Disciplinary Program Trajectories. Il nous partage son quotidien, entre le laboratoire et le terrain où il mène ses recherches, et la faculté des Arts et Sciences Humaines (ARSH) au sein de laquelle il enseigne. 

Un parcours entre montagnes et voyages

Bien qu’il soit originaire du sud de la France, Raphaël Lachello est arrivé dès son plus jeune âge au cœur des montagnes grenobloises, à Crolles. Après avoir obtenu un baccalauréat économique et social, il choisit d’intégrer une licence d’histoire à la faculté des Arts et Sciences Humaines, sur le campus universitaire de Grenoble. Sa licence en poche, il décide de poursuivre ses études avec un master recherche, parcours Histoire appliquée : sociétés, environnement, territoires, toujours à Grenoble. Il profite de sa première année de master pour réaliser une expérience à l’étranger, en Pologne, dans le cadre du programme ERASMUS.

Alors que pour son mémoire de fin d’études, Raphaël s’intéresse à l’histoire des médias, un stage lui est proposé en partenariat avec le Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA) et l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE, anciennement Irstea), sur l’histoire de la prise en compte du risque d'avalanche en Haute-Maurienne. C’est cette expérience qui le convaincra de réaliser une thèse en histoire de l’environnement.

Etre historien de l’environnement, ça veut dire quoi ?

Le sujet de thèse de Raphaël, sur lequel il travaille depuis 2017, porte sur l’histoire des socio-écosystèmes forestiers alpins dans la vallée de la Maurienne. Son travail permet de rendre compte de l’évolution des relations entre les sociétés et les écosystèmes, et de comprendre comment l’un peut agir sur l’autre. Il s’intéresse en particulier au XIXe siècle, une période à laquelle on estime que l’on se trouve à un minimum forestier en France. Il se concentre principalement sur onze communes, qui reflètent différentes manières de gérer les écosystèmes à cette époque.

Afin d’étudier l’histoire des forêts, Raphaël s’appuie sur les archives des institutions forestières (notamment des enquêtes faisant l’état des lieux d’une forêt à un instant donné, et proposant un plan de gestion pour les années suivantes), qu’il croise avec les archives des communes concernées, de la préfecture, de la Société des Amis de la Forêt, d’associations telles que le Touring club de France, ou encore de fonds privés d’entreprises ayant exploité le bois.

Archives des institutions forestières (© Raphaël Lachello)

Pour mieux comprendre ces documents, il n’hésite pas à se rendre régulièrement sur le terrain. En effet, l’avantage d’étudier les forêts, c’est que les parcelles et les arbres décrits au XIXème siècle sont toujours présents aujourd’hui ! Il est ainsi plus facile d’appréhender les informations rapportées dans les archives en ayant une bonne connaissance du terrain. Raphaël échange également avec de nombreux acteurs (mairies, Office National des Forêts, agriculteurs, chasseurs, refuges), pour mieux s’imprégner du territoire.

Si son sujet de thèse est tourné vers le passé des forêts en Maurienne, les travaux de Raphaël permettent aussi de s’interroger sur leur avenir ! En s’appuyant sur les différentes pratiques forestières ayant été mises en œuvre au XIXème siècle, il peut informer les acteurs du territoire et leur donner des pistes de réflexion en fonction des enjeux qu’ils rencontrent. Un exemple concret : les agriculteurs ont aujourd'hui des difficultés pour faire pâturer leur bétail lors des périodes de sécheresses, accentuées ces 20 dernières années par le changement climatique. Raphaël a mis en évidence qu’avant 1860, le pâturage en forêt était une pratique courante en Maurienne. À partir de 1860, l'État a légiféré pour interdire le pâturage en forêt afin de favoriser l'exploitation sylvicole. Aujourd'hui, en montagne l’exploitation forestière est en perte de vitesse (coût d'exploitation trop élevé dû à la difficulté d’accès et de transport du bois). Les enjeux sylvicoles étant moins important dans certaines forêts, une piste serait qu'elles constituent une réserve d'herbe fraîche lors des périodes de sécheresse.

Une frontière entre vie personnelle et professionnelle parfois fragile

Quatre ans après l’obtention de son master, son travail de recherche occupe une grande partie de la vie de Raphaël. Il déclare avoir “du mal à dissocier mon métier de ma vie perso”, en raison du temps qu’il passe sur le terrain forestier qui allie à la fois son métier mais aussi sa passion pour les sports de montagne tels que l’alpinisme ou le ski. 

Cette frontière entre vie personnelle et vie professionnelle a par ailleurs été bousculée par la crise sanitaire. Le fait de ne plus pouvoir se rendre sur le terrain pour ses recherches où à l’université pour enseigner a affecté le moral de Raphaël, qui s’est retrouvé à travailler chez lui parfois près de 70h par semaine, avec peu de contacts sociaux. Depuis la fin du confinement, il tente de trouver des aménagements pour retrouver un équilibre : il se rend 3 demi-journées par semaine au bureau, a repris une activité physique, et se réserve des moments de liberté et de loisirs dans son planning.

 Je ne suis pas un solitaire, j’ai besoin de voir du monde, sans personne je ne vois plus l'intérêt de mon travail

Malgré les nombreux inconvénients de la crise sanitaire, Raphaël a cependant réussi à tirer parti de la situation en ce qui concerne ses activités d’enseignement. Il a ainsi mis à profit sa créativité pour allier outils numériques et pédagogie durant les cours à distance. 

Des projets pour diffuser les savoirs et la recherche

Pour donner toujours plus de sens à son travail, Raphaël s’investit également dans de nombreux projets pour encourager la diffusion des savoirs et de la recherche. Il a récemment participé au concours « Ma thèse en 180 secondes » (replay disponible sur Youtube) et est à l’initiative du Collectif Perce-Neige, qui vise à créer une interface sciences-société innovante pensée par et pour les jeunes chercheurs travaillant sur le thème de la montagne. Il tient également à partager ses connaissances avec les publics scolaires, et intervient directement au sein d’écoles dans le Trièves, et dans des collèges en Maurienne, pour faire découvrir aux enfants/élèves la dimension historique des paysages qui les entourent. 

Raphaël terminera sa thèse d’ici environ un an. Il espère pouvoir continuer ses travaux après l’obtention de son doctorat, et rêve de décrocher un jour un poste de maître de conférences, pour continuer à mêler recherche, enseignement et partage des savoirs.


Article rédigé par Clémence Rey, Léonie Chenu et Sandy Aupetit



Cet article a été rédigé par les étudiants de licence suivant l'enseignement transversal "Sciences, journalisme et réseaux sociaux" proposé à l'Université Grenoble Alpes (UGA). Cet enseignement est encadré par Sandy Aupetit, chargée de médiation scientifique à l'UGA et Marion Sabourdy, chargée des nouveaux médias à La Casemate. Suivez l'actualité de l'ETC sur Twitter !