Développement mondial de l’éolien et criticité des matières premières

Publié par Encyclopédie Énergie, le 17 juin 2019   7.4k

En très forte croissance (10% par an, en moyenne, entre 2008 et 2018), la production éolienne mondiale  a atteint, fin 2018, plus de 590 GW de puissance installée pour une productivité annuelle d’environ 1 200 TWh (4,5% de la production électrique totale). En outre, le potentiel technique est colossal : plus de 50 GW de nouvelles capacités sont installées chaque année.  Rien ne permet de penser que ce rythme diminuera au cours des prochaines décennies ce qui conduira à une capacité cumulée d’environ 1 200 GW dès 2030 avec une production annuelle d’environ 2 500 TWh.

Dans le plus ambitieux scénario REmap de l’IRENA[1], incluant une forte électrification de l’ensemble des secteurs énergétiques, la production mondiale d’électricité monterait de 25 000 TWh en 2018 à 55 000 TWh en 2050 : l’éolien y contribuerait à hauteur de près de 34% avec plus de 6 000 GW de puissance installée. Un tel scénario nécessiterait d’installer annuellement en moyenne 200 GW de capacités supplémentaires , soit  quatre fois plus qu'en 2018.

Au-delà de l’investissement économique requis, une question fondamentale concerne les besoins de matières premières (béton, acier, cuivre, terres rares, entre autres). Bien qu'elles soient, pour la plupart, recyclables, contrairement aux combustibles fossiles et fissiles non renouvelables, il convient  d'évaluer les quantités de matériaux requises par le développement de l'éolien dans les scénarios mentionnés,  la part des usages qu’elles représenteraient par rapport à la situation actuelle et leur disponibilité relativement aux réserves et ressources connues.

 

1. Constitution des éoliennes

En simplifiant, une éolienne, qu’elle soit terrestre ou offshore, comprend typiquement des fondations, un mat, une nacelle, une turbine tripale et des équipements électriques pour son raccordement au réseau.  Les fondations des machines terrestres sont en béton armé, le mat est réalisé à partir de tubes d’acier, la nacelle est également en acier, la turbine est en matériaux composites, généralement de la fibre de verre, parfois de la fibre de carbone.  Cette nacelle contient la chaîne électromécanique de conversion dont les  technologies peuvent être classées en deux grandes familles :

  • celles à multiplicateur de vitesse (avec engrenages, rapport typiquement aux alentours de 100) permettant d’utiliser des génératrices électriques peu coûteuses et légères, grâce à une vitesse de rotation beaucoup plus élevée que celle de la turbine ;
  • celles à entraînement direct (sans engrenages) nécessitant une génératrice de plus grande taille et plus coûteuse mais permettant surtout d’accroître la fiabilité, ce qui est particulièrement appréciable en mer où les coûts d’intervention sont très élevés.

Les génératrices employées peuvent être de type asynchrone (à cage d’écureuil ou à double alimentation) ou synchrone, cette dernière famille pouvant être à rotor bobiné ou à aimants permanents. Les chaînes à entraînement direct requièrent impérativement des machines synchrones à très grand nombre de paires de pôles.

Qu’il s’agisse de machines à multiplicateur de vitesse ou à entraînement direct, les aimants permanents offrent l’avantage de réduire la masse globale de la nacelle, mais ils ne sont absolument pas indispensables. Leur coût élevé est généralement compensé par une réduction des dépenses en structures porteuses (acier, béton) et même en cuivre dans la génératrice électrique. Enfin, si on ajoute les gains sur la fiabilité, ces machines apportent, au prix d’un léger surcoût d’investissement, un gain financier sur l’ensemble du cycle de vie. L'entreprise Enercon, leader historique des éoliennes à entraînement direct, n’utilisent pas d’aimants-permanents.

Il est fréquemment affirmé que les aimants permanents nécessitaient des terres rares et qu’ils générent des impacts environnementaux colossaux ou que les besoins de matières premières pour la transition énergétique, notamment pour l’éolien et le photovoltaïque qui en sont les deux principaux moteurs, sont tels qu’il n’est absolument pas raisonnable de poursuivre dans cette voie. En est-il  vraiment ainsi ?

Fig. 1 : Parc éolien du pays Jusséen (Haute-Saône) 2018 : 8 éoliennes 2 MW (Vestas V110/2000).  - Source : image  de l'auteur.
Fig. 1 : Parc éolien du pays Jusséen (Haute-Saône) 2018 : 8 éoliennes 2 MW (Vestas V110/2000). - Source : image de l'auteur.


2. Besoin en matériaux d’une éolienne terrestre moderne : Vestas 2 MW V110

Cette machine de 2 MW est équipée d’une turbine de 110 m de diamètre et d’une chaîne de conversion à multiplicateur mécanique (figure 1).  L’inventaire de cycle de vie[2]. permet de connaitre les quantités de matériaux requis pour la construction d’une telle machine : elles ont été évaluées (figure 2) pour un parc de 50 MW constitué de 25 machines de ce type.  

Fig. 2 : Bilan des matériaux d’un parc éolien de 50 MW constitué de 25 machines Vestas V110/2MW -  Source : IRENA
Fig. 2 : Bilan des matériaux d’un parc éolien de 50 MW constitué de 25 machines Vestas V110/2MW - Source : IRENA[3]

Afin de donner quelques ordres de grandeurs des quantités de matériaux nécessaires, et surtout de les relativiser par rapport aux consommations actuelles, on peut exploiter l'exemple de cette ferme éolienne en le transposant simplement à un contexte de contribution très significative de l’éolien à la transition énergétique mondiale, soit les 200 GW/an mentionnés plus haut. Une telle capacité correspond ainsi à l’équivalent de 4 000 installations de 50 MW. Les besoins annuels de matériaux (hors considérations de leur indispensable recyclage) peuvent ainsi être estimés pour un rythme annuel de 50 GW (l’actuel) et de 200 GW (possible futur) et être mis en parallèle avec la consommation annuelle mondiale (2018) tous usages confondus, face aux réserves et ressources mondiales[4] (Tableau 1).  Les réserves et ressources concernant le béton et la fibre de verre sont absentes car elles ne sont pas quantifiées dans la littérature.


Tableau 1.  Evaluation des besoins de quelques-uns des matériaux essentiels

Matériaux

Besoins ferme de référence 50 MW

Cons. mondiale annuelle 2018 (mines et recyclage)

Besoins pour 50 GW/an et % de la cons. 2018

Besoins pour 200 GW/an et % de la cons. 2018

Réserves minières mondiales

Ressources minières mondiales

Béton

23 kt

50 Gt

23 Mt – 0,05%

92 Mt – 0,2%

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Acier et fer

6 kt

1,6 Gt

6 Mt – 0,37%

24 Mt – 1,5%

50 Gt

230 Gt

Fibre de verre

370 t

6 Mt ??

370 kt – 6%

1,5 Mt – 24%

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Aluminium

170 t

75 Mt

170 kt -

680 kt - 0,9%

7,5 Gt

18 Gt

Cuivre

87 t

24 Mt

87 kt

350 kt – 1,5%

790 Mt

2,1 Gt

Valeurs ramenées aux consommations annuelles (tous usages confondus, origines minière et recyclage) de 2018.

 

Cette analyse met en lumière que les besoins en matériaux restent, relativement aux autres usages, très faibles, de l’ordre du pourcent, y compris dans le cadre d’une transition énergétique intensive, et moins encore en ce qui concerne le béton. A titre de comparaison, la production automobile  absorbe 12% de l’acier mondial ! Seuls les matériaux composites (fibre de verre, notamment) représenteraient une part plus significative, mais l'évaluation de leur quantité future est ramenée à une consommation 2018 encore faible dans le cas des composites.

Dans le cas des aimants permanents, la principale technologie actuelle est de type néodyme-fer-bore (NdFeB). Les deux principales terres rares nécessaires sont le néodyme et le dysprosium[5]. Ce dernier élément, utilisé pour accroître la tenue en température des aimants, sa teneur dans l’alliage variant en fonction des performances recherchées, est le seul réellement critique. Mais d’une part, on peut désormais se passer de dysprosium et également réduire significativement les besoins en néodyme, comme le montrent les dernières évolutions[6], ceci, tout en conservant de hautes performances et, d’autre part, il existe des technologies, certes moins performantes et déjà massivement utilisées, d’aimants sans terres rares (ferrites). Notons toutefois que, sur le plan environnemental, l’usage d’aimants NdFeB présente un bénéfice global, comme le montre une étude scientifique menée à la NTNU de Trondheim en 2015[7].

Fig. 3 : Mine de cuivre à ciel ouvert (Chino Nouveau Mexique USA). – Source : Marshman at the English Wikipedia [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/)]
Fig. 3 : Mine de cuivre à ciel ouvert (Chino Nouveau Mexique USA). – Source : Marshman at the English Wikipedia [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/)]

Reste la question du recyclage des matières premières. Cette question n’est pas propre au secteur énergétique et, si le taux de recyclage progresse rapidement, y compris pour le fameux lithium qui compose les batteries[8], c’est l’ensemble des mécanismes de l'économie mondiale qu’il faut critiquer. En effet, le recyclage est partiellement conditionné par la règlementation et beaucoup par l’économie de marché. Dès lors, il semblerait que l’extraction minière (figure 3), aussi polluante et calamiteuse soit-elle, coûte souvent moins cher que le recyclage, en termes économiques mais certainement pas  environnementaux ! En 2019, seuls les composites sont difficilement recyclables. Dans le cas des pales d’éoliennes, ils sont broyés, parfois enfouis, seulement valorisés  comme combustible dans les cimenteries, mais diverses pistes sont à l’étude pour faire mieux[9].

Les problèmes, auxquels est actuellement confrontée l’humanité, tiennent essentiellement à son ébriété de consommation, énergie comprise. C'est donc l'ensemble des activités et pas spécifiquement le secteur énergétique qu’il faut incriminer dans sa consommation future de métaux normalement recyclables, sauf lorsqu’ils sont soumis à des rayonnements ionisants, ce qui est le cas des technologies nucléaires.  Il est donc temps de réduire drastiquement l’intensité de l'emprise matérielle sur la nature des sociétés du 21ème siècle pour atteindre une civilisation réellement soutenable sur la belle planète bleue !

Au delà de l’éolien,  l’autre technologie majeure de la transition énergie mondiale, le photovoltaïque, présente exactement les mêmes spécificités : la question des matières premières, de leur disponibilité, de leur recyclage, voire de leur criticité, n'est donc pas un argument sérieux pour la remettre en question.

 

Notes et références

[1]IRENA (International Renewable Energy Agency), ReMap : Global Energy Transformation : A roadmap to 2050. 2019 Edition.

[2] P. Razdan, P. Garrett, Life Cycle Assessment of Electricity Production from an onshore V110-2.0 MW Wind Plant, Vestas technical report, dec. 2015.

K. R. Haapala and P. Prempreeda, Comparative Life Cycle Assessment of 2.0 MW Wind Turbines, Int. J. Sustainable Manufacturing, Vol. 3, No. 2, 2014.

[3] IRENA, Renewable energy benefits: Leveraging local capacity for onshore wind, report, Abu Dhabi, 2017.

[4] USGS : United States Geological Survey, https://www.usgs.gov/

[5] Les terres rares ne sont pas particulièrement rares, elles constituent seulement une famille d’éléments chimiques (métaux) du tableau périodique : https://fr.wikipedia.org/wiki/Terre_rare

[6] Des aimants à hautes performances sans dysprosium : https://arstechnica.com/cars/2018/02/neodymium-more-like-neo-dont-mium-new-magnet-uses-fewer-key-rare-earths/

[7] C. Venås, Life cycle assessment of electric power generation by wind turbines containing rare earth magnets, MSc Thesis report, NTNU Trondheim, 2015.

[8] O. Danielo, Lithium et cobalt des batteries : un recyclage impossible ?, avril 2019.

[9] L. Rousselle, Et si on arrêtait d'enfouir les pales d'éoliennes ?, L’Usine Nouvelle, 20 fev. 2019.


A lire pour plus de détails dans encyclopedie-energie.org


Un article de Bernard Multon Ancien professeur des Universités à l'Ecole normale supérieure de Rennes et chercheur au laboratoire SATIE-CNRS.



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