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Les humains sont droitiers* mais les kangourous gauchers !

Publié par Laurent Vercueil, le 1 avril 2016   4k

La latéralisation manuelle est l'indice d'une spécialisation hémisphérique. Si la majorité des humains sont droitiers, c'est parce que l'hémisphère gauche développe des propriétés spécifiques, incluant ce qui touche au langage, tandis que l'hémisphère droit, improprement appelé "hémisphère mineur" (l'autre étant soi-disant "dominant"), se voit confier d'autres fonctions. Cette "asymétrie cérébrale" (1) est fondatrice de ce qui fait l'humain, d'autant que, jusqu'à récemment, elle n'avait jamais été mise en évidence chez l'animal non humain.

Bref, l'humain est le seul animal a posséder non pas un mais deux cerveaux, dont le fonctionnement harmonieux est assuré par des ponts de substance blanche, dont le plus important est le corps calleux. Encore un privilège auto-attribué !

Or il n'en est rien. Une équipe russe explore depuis plusieurs années la présence d'éléments suggérant une latéralisation cérébrale chez les animaux (par exemple, les bébés bélugas nagent de préférence à droite de leur mère, c'est à dire en plaçant celle-ci sur leur gauche, suggérant que leur hémisphère droit traite plus particulièrement les interactions sociales et les émotions). Et donc, Giljov et al., dans un travail récent publié dans la revue Current Biology (2), font l'observation, chez des marsupiaux, les kangourous, d'une nette préférence manuelle gauche pour les membres antérieurs (équivalents de nos membres supérieurs), au cours des comportements alimentaires, de toilette, ou lorsqu'ils se relèvent de la position allongée pour se redresser.

Le fait que ces marsupiaux ne soient pas des quadrupèdes, mais bien, comme l'homme, des bipèdes, est significatif (3). La libération des membres antérieurs pour des activités de manipulation de l'environnement est probablement une condition nécessaire à la distribution des fonctions de façon asymétrique dans le cerveau, et, secondairement, à l'association plus spécifique d'une fonction (ou de plusieurs) avec la dominance manuelle.

Pourtant, de nombreuses questions restent en suspens : si la bipédie et la libération de la préhension manuelle permettent le développement de l'asymétrie cérébrale, pourquoi seulement l'homme et le kangourou ? La dominance manuelle gauche du kangourou signifie-t-elle réellement que le marsupial a développé des compétences cérébrales latéralisées ? les spécialisations hémisphériques, par exemple concernant les émotions, ont-elle nécessairement trait à la dominance manuelle ? Et si bifurcation il y a eu dans l'évolution de l'homme, des primates, des mammifères, et donc, des marsupiaux, pour quel avantage évolutif ?

L'asymétrie cérébrale recèle encore bien des mystères, mais aujourd'hui, nous ne pouvons plus être certain qu'elle est l'apanage de l'espère humaine...

Notes

* en majorité, bien sûr. Les gauchers sont également des humains.

  1. Je ne résiste pas au plaisir (à la vanité ?) de vous signaler le mini-livre édité par Nina Soleymani (Laboratoire Litt&Arts de l'Université Grenoble Alpes) pour la Semaine du Cerveau 2016, petit fascicule qui se lit dans les deux sens, et où figure un extrait du "Dr Jekyll and Mr Hyde" de RL Stevenson, d'un côté, tandis que de l'autre, apparait ma contribution sur cette fameuse "Asymétrie Cérébrale". Tout cela, et le reste (3 autres excellents mini-livres à composer soi-même, puis à lire +++) est encore visible lors de l’exposition qui se tient jusqu'au 31 mai 2016, à la bibliothèque universitaire de Médecine et de Pharmacie.
  2. Giljov et al. Curr Biol 2015;25(14):1878-1884
  3. Vallortigara G. Curr Biol 2015:25(15):R672-R674