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Dans la tête des trolls et des ouin-ouins

Publié par Laurent Vercueil, le 20 février 2019   4.7k

Ce n'est pas tant internet que les réseaux sociaux qui ont vu émerger ces figures désormais "obligées" de la toile : les trolls et les ouin-ouins. 

Les trolls ? Ce ne sont pas les géants débonnaires de la mythologie scandinave, mais ces intervenants masqués, couverts par l'anonymat, qui manifestent des positions radicales, haineuses envers des individus, des groupes de personnes, ou des institutions. La logique est sommaire, le propos colérique, vindicatif, et toujours provocateur. Le terme le plus important est bien celui-là : provocateur. Nous y reviendrons. 

Les ouin-ouins ? Des personnes plutôt bien intentionnées, qui vont réagir aux propos des trolls. Leur réaction est appropriée ("comment peux-tu dire ça ?") mais non avisée. Appropriée, parce qu'en effet, ce que profèrent les trolls est souvent scandaleux, inaudible, intolérable. Non avisée, parce qu'en réagissant, en tentant de dialoguer avec le troll, les ouin-ouins ne font que renforcer son comportement : "don't feed the troll" (ne donnez pas à manger au troll !). 


Le problème est bien sûr que trolls et ouin-ouins forment un couple indissociable. Il n'y a pas de ouin-ouins sans trolls, mais il n'y a pas non plus de trolls sans ouin-ouins. 

Des enquêtes menées en ligne auprès des utilisateurs d'internet ont montré que les contributions des trolls sont motivées par la recherche de l'attention (1). Sans surprise, les trolls ont des traits de personnalité proches du sadisme (2), ainsi qu'une faible estime de soi et peu de valeurs morales (3). Du genre infréquentable. 

Dans l'étude de Buckels et al. (2), par exemple, les internautes étaient interrogés d'une part sur leur comportement sur internet (combien de temps passez vous sur tel ou tel site ? Et qu'appréciez-vous (enjoy) particulièrement ? Faire des connaissances, chatter avec d'autres personnes, troller des utilisateurs, etc..(je simplifie)) et d'autre part, devaient compléter des échelles ciblant certains traits de leur personnalité : par exemple "hurting somebody is exciting" (blesser quelqu'un est excitant) : de 1, strongly disagree à 5, strongly agree. Les échelles utilisées (sadisme, machiavellisme, narcissisme, psychopathie) sont notamment celles qui sont associées, lorsque le score est élevé, au harcèlement. La figure 1, reproduite ci-dessous, présente les résultats obtenus auprès de 418 internautes. 


L'étude de Buckels et al. (2) montre particulièrement comment certains traits de personnalité des trolls sont précisément ceux qui ont été valorisés, par exemple au moyen-âge, dans la figure du "trickster" (le rusé, le truqueur) dans la culture populaire. Les fabliaux du moyen-âge et, surtout, le roman de Renart mettent en scène un personnage fourbe, menteur, qui parvient à ses fins en ne se préoccupant aucunement de la morale et des moyens mis en oeuvre (cruel destin d'Ysengrin, le loup).  Le goupil, malin, tire profit de la crédulité des puissants qu'il sait exploiter (voir le dossier de la BNF). Le troll manoeuvre les ouin-ouins. 

Mais que deviendrait Renart sans Ysengrin ? 


Références

(1) P. Shachaf, N. Hara. Beyond vandalism: Wikipedia trolls.  Journal of Information Science, 36 (3) (2010), pp. 357-370

(2) E.E. Buckels, P.D. Trapnell, D.L. Paulhus. Trolls just want to have fun.  Personality and Individual Differences, 67 (2014), pp. 97-102

(3) L.A. Zezulka, K.C. Seigfried-Spellar. Differentiating cyberbullies and internet trolls by personlity characteristics and self-esteem. Journal of Digital Forensics, Security and Law, 11 (3)(2016), pp. 7-26

illustration principale : Évocation humoristique de l'ancien folklore avec un panneau signalant le passage fréquent de trolls, sur la route Trollstigen (Norvège) - wikipedia