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Mémoires du Futur

l'IA, l'intelligence artificielle, c'est quoi ?

Publié par Jean Claude Serres, le 7 décembre 2025

Propos : 

L’IA c’est quoi ? 

Contexte et situation

Qui est concerné ?

Quels sont les enjeux sociétaux (menaces // opportunités)?

Comment cela fonctionne ?

Qu’est-ce que l'intelligence et ses multiples déclinaisons ?

A - l’IA c’est quoi ?

L’ IA ou Intelligence Artificielle est une machine intelligente très spécialisée dans un domaine d'activité. Depuis une vingtaine d’années, ce type de machine capable d'exécuter des tâches d’ordre cognitif  peut être considérée comme une véritable prothèse humaine. Depuis les années 80 un grand nombre de machines (non désignées par le vocable IA) sont capables d'exécuter des tâches cognitives : applications informatiques de planification de projet Microsoft projet, de conception assistée par ordinateur CAO, de fabrication assistée par ordinateur CFAO, de gestion assistée par ordinateur GPAO, d’automates programmables GRAFCET ou encore d’orientation GPS. Les très nombreuses formes d’IA  réalisent une forme de progrès “cognitif”, au fil des années, en terme de puissance, de niveau d’autonomie et de capacités disponibles à partir des années 2010.  Un premier schéma distingue quelques usages majeurs et quelques formes particulières : 

B - Contexte et situation

Depuis 2023 la mise sur le marché d’IA génératives avec ChatGPT puis ses concurrents a créé  un engouement massif tout comme une peur considérable. La bulle médiatique a dramatiquement accentué cette peur par les modifications sociétales induites par leur usage et aussi par leur développement spectaculaire, la peur d’une IA générale qui échappe à ses concepteurs et qui développe un niveau d’autonomie supérieur pouvant nuire à l’espèce humaine. Cette peur doit être canalisée en une inquiétude objective et fondée que nous devons apprendre à connaître et à maîtriser, autant au niveau individuel que sociétal. 

Pour cela nous devons comprendre comment fonctionne une IA, quels sont les dangers, les menaces et les opportunités de chaque type de machine intelligente. Comme tout outil inventé par l'espèce humaine,  c’est d’abord le mauvais usage qu’en font les hommes qui est source de menaces et de dangers.  

C - Qui est concerné ?

L’avènement de la société numérique a profondément modifié le fonctionnement des sociétés humaines. La vitesse de déploiement sur la planète a été telle que les états comme les populations ont subi ce changement radical. On parle maintenant d'accélération davantage que de vitesse (cf Hartmut Rosa “Accélération”). Nous pouvons discerner quatre grands groupes de personnes : 

L'analyse pourrait être effectuée au niveau global du numérique (big data, réalité augmentée, réalité virtuelle, réseaux sociaux numériques, IA ), nous allons nous focaliser sur les IA et plus spécifiquement sur les IA génériques. En France ils seraient de l’ordre de 36000 personnes et dans le monde 300 000 (hypothèse basse). En France environ 20 millions  personnes utilisent les IA génératives , principalement chez les jeunes (de 18 à  35 ans).

  1. Les concepteurs : ingénieurs et informaticiens sortent des grandes écoles et universités. Grandes ressources en France. Ils sont inspirés des romans de science fiction et vice versa pour les romanciers. Les patrons sortent du rang ( méritocratie democratique). ils ne sont pas issus des grandes familles industrielles du XIX et XX siècle, (idéologie du garage HP). Leur puissance provient de l’engouement des utilisateurs. Le management d'entreprises modernes supplante  en efficacité comme en rapidité la puissance des états historiques. Ces nouveaux capitaines d’industrie et milliardaires  ont transformé le fonctionnement des populations en quelques décades, sans limites ni réflexions et régulation étatiques.
         
  2. Les utilisateurs fascinés : On peut les regrouper en deux familles. La première est celle des utilisateurs concepteurs. Les outils mis à leur dispositions ont des possibilités immenses que les inventeurs n’ont pus imaginer. Certains utilisateurs concepteurs arrivent à modifier le comportement des IA à l’opposé de ce qui était prévu initialement. Ils donnent des cours gratuits sur internet et payants pour ceux qui veulent aller plus en profondeur. Je me forme gratuitement depuis juin 2025 sur certaines formulations structurées des requêtes. Je fais ainsi partie du second groupe d' utilisateurs motivés à comprendre et à faire le meilleur usage de ces IA génératives : Chat GPT - IA Claude - Gemini - Mistral. En utilisant plusieurs IA simultanément sur un questionnement ou une requête donnée, on peut accroître la pertinence de ses recherches et aiguiser son sens critique. Ces utilisateurs formeront sans doute la cohorte des “hommes augmentés" de demain.
  3. Les utilisateurs forcés:  ceux-là sont à la peine soit au travail pour accroître leur efficacité soit en simple recherche de facilité. Ils prennent le risque majeur de réaliser une délégation  massive de leurs compétences cognitives comme de leur mémoire et capacité de mémorisation. Ils deviendront les futurs “hommes diminués” qui vont aggraver la fracture sociale et leur non employabilité à terme. L’IA générative est une voiture de course, une Ferrari qu’on ne peut utiliser avec la seule maîtrise de la conduite d’un vélo.
  4. Les non utilisateurs : Nous pouvons distinguer encore deux sous-groupes. Le premier groupe concerne ceux qui n’éprouvent aucun besoin ou rejettent par peur avérée ou non. Ils jouent la prudence. Il doivent viser les employabilités hors numérique, ces niches économiques existent, d’autres vont se développer. Le second groupe s’oppose idéologiquement aux progrès industriels, au numérique et en particulier aux IA génériques. C’est un choix militant possible dans une démocratie occidentale. Un de leur rôle est d'être des lanceurs d’alertes pertinents.  

D - Quels sont les enjeux sociétaux (menaces // opportunités)?

Les enjeux sociétaux sont immenses pour notre société qui traverse simultanément multiples crises ou catastrophes. Cependant ces enjeux numériques sont très différents pour chacun des quatre groupes identifiés ci-dessus. Avant de développer ce point capital il nous faut comprendre le sens du terme crise ou catastrophe, le premier très usité en politique de gouvernement et le second davantage dans les postures  politiques radicales. La catastrophe - métamorphose est illustrée par la trajectoire d’un électron qui change d’orbite. Avant sa trajectoire suit l’orbite. Après, la trajectoire suit la nouvelle orbite. Cependant le changement d’orbite suit une trajectoire confuse non identifiable. Cette traversée hors cadre des forces qui régissent les trajectoires stables, a une durée conséquente et un déplacement rempli d’incertitude, complètement imprévisible. 

J'utilise l’expression de catastrophe-métamorphose pour désigner ce type de bifurcation sociétale ou individuelle (mécanique des plis, théorie des catastrophe - René Thom) . On ne sort pas indemne et identique par rapport à l’avant de la traversée d’une crise ou catastrophe de ce type, on se transforme, on se métamorphose. Le “on” caractérise aussi bien une personne, un groupe social, une nation, une civilisation.  

La numérisation de notre société comme de la plupart des nations de la planète représente une traversée pleine d'incertitudes, et cette catastrophe-métamorphose durera probablement  une centaine d’années. Nous sommes au milieu du gué ! Dans cette traversée nous avons pu identifier des vagues successives : micro-ordinateur, internet, mobiles, réseaux sociaux numériques,  et différentes formes d’IA depuis une vingtaine d’années. Les IA statistiques (Deep Learning ) ont émergé vers 2010. L’IA générative ChatGPT est sortie fin 2022. Trois ans plus tard 800 millions d’utilisateurs hebdomadaires. L’accélération est vraiment palpable.  

Trois générations sont impactées dans cette traversée, un peu comme le papillon Monarque qui réalise une migration fantastique en 4 ou 5 générations ( une génération pour aller du nord des USA au Mexique puis 3 ou 4 pour revenir ! Pour comprendre cela, nous pouvons regarder en arrière les grandes mutations civilisatrices : création du feu, invention de l’écriture puis de l’imprimerie, la révolution industrielle et maintenant l’aventure numérique. 

Quand on regarde à l’échelle civilisationnelle c’est effectivement un monde d’incertitudes et de questionnements. Cependant notre civilisation occidentale traverse de multiples catastrophes - métamorphoses avec cette durée et cette ampleur (climat, pollution des sols et des eaux, flux migratoires,  numérique, fondements de la famille, effondrement de la culture de l’état de droit et de la culture démocratique, etc.) Ces mutations sont en interdépendances. Quand on regarde la seule mutation numérique dans notre pays, il y a des populations moins exposées sur le plan psychologique : les concepteurs et les très nombreux utilisateurs fascinés. A l'inverse, les utilisateurs obligés et les non utilisateurs sont les plus exposés à être laissés sur le bord du chemin et à développer une éco anxiété dramatique.    

E - Comment cela fonctionne ?

Nous allons maintenant laisser de côté la dimension sociétale  et essayer de comprendre ce qu’est une IA Générative, comment elle fonctionne. Elle n’est pas arrivée comme par magie, tombée du ciel. Un long cheminement de recherches scientifiques, d’essais, erreurs et réussites a permis, pas à pas, de mettre au point une IA neuro-symbolique. Un chemin explicatif pour comprendre comment l’IA fonctionne peut être réalisé par analogie avec le fonctionnement des tableurs sur PC, Excel ou Lotus 123 au début. Un autre chemin tout aussi important est celui des progrès en neuroscience. Les progrès en IA et simultanément en neuroscience, particulièrement dans les processus de la vision sont allés de pair, s’enrichissant mutuellement.

Premier chemin : analogie avec le tableur : 

En 70 arrive le premier automate programmable Olivetti, la  Programma 101 avec 101 pas de programme, en 73 la première calculatrice HP puis la calculatrice Casio vers 1980. Entre 1983 et 1985 je découvre le PC portable, Word et le tableur Lotus 123. Chacune des cellules du tableur possède la puissance de calcul d’une calculatrice. Chacune des cellules peut être liée à d’autres cellules par des fonctions. J’ai pu développer des aides à la décision (validation de carnet de commande d’un millier de produits (cartes informatiques HP), le calcul de saturation par tranche de temps de quatre lignes de production automatique et enfin le calcul du nombre d’employés en trois équipes par métiers et compétences. Ceci a pu être réalisé par du calcul simple (addition multiplications) en connectant sur plusieurs feuilles de calcul (matrice volume) deux à trois cent milles cellules. En 1998 une programmation en langage macro m’a permis de construire l’outil en 20 minutes après avoir écrit les formules de calcul exemple dans chaque feuille de calcul. 

Une IA générique connecte 6 à 7 matrices planes ayant chacune des milliards de cellules. C’est la dimension connectiviste. Les fonctions de connexion ne sont plus des additions ou multiplications simples mais des approches statistiques (bayésienne) non linéaires. c’est la dimension algorithmique ou symbolique.

Dans une étape ultérieure on peut connecter multiples IA entre elles.  Exemple pour une voiture autonome : il faut connecter une IA “caméra” de détection du réel (obstacles feux et panneaux de signalisation), une IA reliée à un serveur de type Google MAP pour définir l'itinéraire et enfin d’une IA qui décide des commandes à réaliser à chaque instant. 

Second chemin synergie et analogie avec le fonctionnement de la vision en neuroscience : 

Le cerveau “cognitif” fonctionne avec de multiples circuits de neurones (16 milliards de neurones pour un total du cerveau de 80 milliards avec un millier de synapses par neurone  (connexion entre neurones). Le cerveau d’un enfant de 4 ans dispose d’environ 10 puissance 14 synapses. La plupart de ces circuits fonctionnent de façon non consciente et massivement parallèle. C’est la dimension connexionniste comparable sur le principe à l’IA connexionniste.

Par étape, les circuits non conscients condensent l’information jusqu’à la rendre conscientisable. Exemple, quand un visage apparaît dans l'œil d’un observateur, les 2 rétines envoient de l’information codée dans la zone arrière du cerveau T4 : des milliards d’infos, de synapses excitées. La condensation ramène ce flux d’information à un vecteur de 50 dimensions qui peuvent apparaître dans un état de conscience : l’observateur reconnaît le visage. Ce travail d’analyse et de condensation est en partie statistique (bayésien)

Dans la dimension consciente du cerveau (l’Espace Global de Travail Conscient, cf. Stanislas Dehaene) le traitement de l’information n’est plus parallèle mais massivement séquentiel : l’état du moi qui pense, réfléchit, raisonne. C’est la dimension algorithmique ou symbolique de l’IA qui permet d’ajuster les fonctions de pondérations entre les matrices de neurones artificiels.  

F - Qu’est-ce que l'intelligence et ses multiples déclinaisons ?

Les IA génératrices  sont des prothèses qui ne pensent pas mais calculent statistiquement la plus probable des réponses à la question posée par une suite de concaténation de mots (en fait de tokens : fractions de mots). S’exprimer en “je” avoir des formules de politesse avec une IA est une aberration mentale que je trouve perverse. Personnaliser une machine ouvre la porte aux dirigeants-concepteurs dans leur tendance économique à manipuler nos cerveaux.

Pourtant ces machines sont intelligentes (capacité de mémoire, d’apprentissage et de créativité associative par la masse d’informations consultées). Comment définir les multiples sortes d’intelligences qui ont modelé le vivant ? Nous pouvons discerner les intelligences biologiques génétiques des intelligences humaines ou animales acquises. Peut-on parler d'intelligence évolutionniste quand on observe  l’ingéniosité expérimentale dans la mise au point de la capacité visuelle (les yeux convexes des mouches et insectes versus les yeux concaves des mammifères ?

Est-ce que l’intelligence machinique, essentiellement humaine dans la lignée des inventions successives de l’homo sapiens, se place dans l’expérimentation évolutionniste ? Nous nous situons comme l’animal le plus complexe et improbable produit par le vivant. Rien n’interdit qu’un autre homo xx supplante l’homo sapiens, ou encore une autre créature non homo, dans une échelle de temps qui n’est pas celle de l’espèce humaine. La forte extinction de la biodiversité pourrait en être le prémisse. Quand on raisonne au niveau civilisationnel, on peut considérer qu’il n’existe pas de civilisation primitive mais des civilisation précarisées par d’autres plus puissantes. Ce qui pourrait advenir à la civilisation occidentale. Pour exemple, des civilisations néolithiques de chasseurs-cueilleurs très développées ont inventé “les cerfs-volants du désert” 7000 ans avant Jésus Christ, en particulier en Jordanie. Cette population ne connaissait pas l’écriture, cependant elle avait la capacité de réaliser une maquette en pierre de plusieurs mètres qui servait à construire par homothétie le “cerf-volant” piège à antilope de plusieurs kilomètres. Cette civilisation disparaîtra soit par catastrophe climatique (désertification) soit par d’autres civilisations prédatrices.

Dans le champ des intelligences acquises, si l’on quitte la logique d’opposition dualiste, il est possible de mettre en tension une courbe vertueuse [IA machinique x Intelligence humaine] via le développement connexe des IA et des neurosciences.

Les découvertes des capacité attentionnelles, une intelligence attentionnelle, révèlent une piste de l’évolution pour accroître les facultés humaines, en particulier dans les temporalités de plasticité neuronales maximales avant l’âge de 5 ans. Les deux tiers des connexions synaptiques disparaissent dans cette période de vie car non utilisées. Sans doute que “l’homme augmenté” ne le sera pas uniquement par des prothèses machiniques ! 

Sources

Jean Philippe Lachaux : Dans le cerveau des champions / le cerveau attentif

https://www.youtube.com/watch?v=DH-x9S5CCuA   20mn

Lionel Naccache  : le cinéma intérieur 

https://www.youtube.com/watch?v=OZro7Jq-b5A

Stanislas Dehaene : code d'accès à la conscience // College de France 

https://www.youtube.com/watch?v=oKq38R6OhXA

Yann Le Cun : inventeur du Deep Learning  / apprentissages profonds 

https://www.youtube.com/watch?v=Z208NMP7_-0

6 oct 2025   1h

 Raphaël Gaillard : HYBRIDATION 

https://www.youtube.com/watch?v=ZF3ygzjGU08

Jacques Attali :  La France en 2040 - Fragments d’avenir