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Mémoires du Futur

De la conscience, de la spiritualité et de la vacuité

Publié par Jean Claude Serres, le 7 novembre 2017   9.9k

Vaste programme que de vouloir relier ces trois termes et de nourrir la réflexion autour leurs interdépendances. Comment ces trois concepts interfèrent par exemple avec les valeurs humanistes de « non violence » ou « d’altruisme » par exemple ?

A - De la conscience

Dans un premier article : des états de conscience  j’ai dressé quelques discernements à prendre en compte pour le concept de conscience. Dans un premier temps je mettrai en avant la distinction entre « états de consciences contenants » et « états de consciences contenus ».

Le cerveau humain est « l’objet » de la nature le plus complexe étudié scientifiquement par les humains. Les états de consciences émergeant en tant que produits ou services de certains processus cérébraux sont de nature différente tant en contenant qu’en contenus. Nous pouvons distinguer les états de conscience de perception externe ou interne au corps, les ressentis émotionnels, affectifs, relationnels ou cognitifs comme l’élaboration, le traitement et le partage de pensées, la prise de décision. Les états de conscience plus subjectifs, d’être conscient d’exister, d’être conscient d’être conscient, de prendre des postures de conscience méta, d’introspection ou de métacognition caractérisent toute la richesse de la diversité de ces états.

Les processus cérébraux produisant des émergences de conscience « contenant » sont en interaction très forte avec les processus attentionnels, avec les circuits de la récompense « émotionnels » ainsi qu’avec les mémoires de travail. Chaque état de conscience est doté d’une durée pour émerger et d’une durée de rémanence sans doute singulière. La nature de perception méta d’états de conscience est tributaire de la fenêtre temporelle d’observation. Par exemple on parlera de fonctionnement apparent séquentiel dans une durée de moins d’une seconde, d’un fonctionnement multipolaire parallèle dans une durée de la minute à quelques heures. Pour les durées plus longues on pourra évoquer les processus d’apprentissage, de conditionnement, de manipulation ou d’influence et dans ce cadre débattre du concept plus polémique de libre arbitre, d’autonomie ou de responsabilité.

Les processus cérébraux produisant des émergences de conscience « contenus» apparaissent comme beaucoup plus complexes à caractériser scientifiquement. Ils sont encore plus éloignés des « signatures biologiques » observables par l’imagerie médicale. Toutes ces imageries  révèlent des corrélations et des synchronisations, conditions nécessaires mais non suffisantes d’émergence d’états de consciences contenants.

B - Du sentiment ou ressenti de conscience de soi

Ce sentiment intime de conscience de soi est habité ou nourri par notre culture, notre histoire singulière et collective. Elle n’est pas seulement innée mais résulte d’un construit. Chacun des êtres humains individus possède, au moins au sortir de la petite enfance une conscience subjective de lui-même. Mais ce « lui-même » qui est-il ?

Chaque être humain développe une « conscience méta » de soi de ses multiples « états de conscience ». Cependant la profondeur de ce discernement dépend des modalités de perception et d’introspection. C’est donc une carte mentale à géométrie variable que chacun construit et imagine le plus souvent semblable ( à tord !) à celle de ses congénères.

Parmi les modalités de perception, l’écoute de soi, de son fonctionnement biologique permet de discerner les émotions, le battement du cœur, l’impact physiologique d’un sentiment de colère ou de peur : le sang se glace, le coeur cogne, le souffle empli les poumons ou les vide de l’air froid ou chaud, etc.

Les modalités de méditation, la pratique de la posture Zazen [1]par exemple permettre d’accroître le discernement conscient de soi en incluant par exemple les pensées, en prenant distance avec elles en les laissant flotter dans une attention non focalisée, « flottante » ou « paysage ». Ces états de conscience adaptés ou « modifiés » souvent désigné par méditation de pleine conscience procèdent de propriétés physiologiques du cerveau et s’acquièrent par la pratique et l’apprentissage.

Le cerveau est l’un des organes constitutif de l’être humain. Est-ce que la « conscience contenant » produite par des processus cerveau se loge dans ce cerveau. Est-ce que la « conscience contenu » est extérieure ou plus vaste que le cerveau puisqu’elle peut produire des perceptions méta d’autres processus cérébraux conscient cognitifs, affectifs ou relationnels ?

L’individu est plus vaste que le cerveau qu’il contient. L’individu conscient est plus vaste que le cerveau qui le contient et produit ce contenu ou contenant d’état de conscience. Cependant le cerveau est beaucoup plus vaste que ce que l’individu conscient peut conscientiser de lui-même. Ce paradoxe peut être approfondi en réfléchissant à notre rapport au vide, au néant et à la vacuité.   

C - De la vacuité du vide et du néant

Le néant est un concept simple : il caractérise le rien, l’absence absolue de quoi que ce soi. C’est l’absence d’existence. Mais la simplicité de la définition peut induire l’erreur. Par exemple le zéro de nos nombres arithmétiques ou complexes n’est pas le néant mais un nombre parmi d’autres, un extrême ou un nombre médian suivant le type de numérotation (nombres entiers naturels ou relatifs, complexes, réels, algébriques).

Le vide est, dans la perception usuelle une relation dans l’espace de présence ou non de matière, de particules élémentaires, d’ondes ou de rayonnement[2]. Le vide peut être aussi considéré comme  le vide de ce que je cherche et ne trouve pas. Le vide est rempli de ce que je ne connais pas. Le vide est singulier, subjectif et relatif. Il dépend de ma culture, de mes connaissances.

La vacuité invite au mouvement, à la reliance, à la recherche de la pensée juste de l’action juste, de la parole juste et du geste juste. La vacuité se loge au cœur de la dialogique, l’englobe et la transcende  

La vacuité est ce qui relie, englobe et dépasse une représentation multipolaire comme le tétralemme par exemple. Le tétralemme  étend la notion du dilemme à un choix entre quatre issues. Il est basé sur une notion logique qui établit que pour une proposition X, il y aurait quatre possibilités : (affirmation) (négation).  Une extension de l’utilisation du tétralemme est de décomposer chaque pole du tétralemme en un nouveau tétralemme, ce qui conduit à une représentation multipolaire de 16 pôles (ou 16 réverbère projecteurs de représentations élémentaires et en interactions). En effectuant encore une subdivision multipolaire on obtient 64 pôles élémentaires. Dans le classique du changement[3], François Julien décrypte ce livre chinois « YI King[4] » qui délivre 64 postures constitués des combinaisons des hexagrammes (six lignes de traits pleins ou brisés). Les cartes du monde ainsi dressées sont arbitraires, fini et condensent sans briser les liens d’interdépendances, prenant en compte la complexité du réel.

Tout ceci peut paraître bien abstrait pour un esprit cartésien formaté à la logique linéaire progressant par déductions successives. L’écriture de cet article peut donner un exemple plus concret. A la différence de bien d’autres articles issus d’une intuition fulgurante, cet article n’est pas venu de lui-même. Il m’a fallu le construire pas à pas. Lors du premier pas j’ai éprouvé le besoin d’écrire cette interdépendance entre conscience - vacuité - spiritualité - valeurs humaines. J’ai élaboré une première heuristique systémique.

 


Puis j’ai décidé de prendre les termes clés et de les décliner de façon arbitraire et linéaire dans cet article, en essayant sans me perdre et ni perdre les lecteurs, de discerner la multipolarité de chacun de ces termes et leurs interactions. Cela caractériserait une déclinaison de tétralemme si j’avais de manière arbitraire conservé l’exigence de décliner par quadripôle. Cela ne pourra s’effectuer que dans des élaborations successives relevant de processus de maturation et de méditation de pleines connaissances. Le schéma général est une itération de [Eprouver - Expérimenter - Représenter ou Modéliser - puis de Re Présenter, Partager et Reprendre en main]. Une certaine forme d’esthétique fonctionnelle et symétrique guide la démarche. Forme et fond ne font qu’un. C’est ce que je nomme « l’écriture paysage ».

 Schéma plus élaboré produit à ce stade de l'écriture

On peut y retrouver un plus grand équilibre et une certaine homogénéité de profondeur de discernement : visualisation paysage à multi focales.

D - De la pratique spirituelle

La spiritualité est ce qui relie englobe et dépasse, pour moi, les quatre familles de processus cérébraux de conscientisation : celle du corps et des émotions, celle de la cognition de la connaissance et des savoirs, celle des affects et des sentiments d’émotions et enfin celle de nos relations aux autres comme à soi même. Il s’agit là d’une représentation multipolaire de type tétralemme de premier niveau, arbitraire. Elle permet d’évacuer les représentations duale de type esprit/matière, inconscient/conscient, etc.      

Est-ce un exercice particulier, intellectuel ou mystique de « pratiquer sa spiritualité » ? La spiritualité est-elle synonyme de mysticisme ou de religiosité ? La pratique spirituelle est elle réservée aux communautés confessionnelles ?  

La spiritualité signifie plutôt pour moi « quête de sens » et recherche d’ « épanouissement personnel ». Cependant l’épanouissement personnel ne reste pas confiné à une posture égotique, centré sur soi. Elle s’ouvre sur le sentiment de joie intérieure, de paix profonde et de sérénité. Elle prolonge cela dans une ouverture aux autres, dans une posture de bienveillance et altruiste.

S’engager dans un chemin vers une posture de bienveillance tournée vers soi comme vers les autres caractérise ce que j’entends par ma « pratique spirituelle ». Cela concerne le quotidien et chaque instant de vie. Être dans « ce chemin » ou « de travers » reflète bien la réalité vécu. C’est comme de pratiquer une méditation de pleine conscience de type Zazen. La posture de silence intérieur (mental au repos) et d’immobilité digne du corps est régulièrement remise en question par des distractions ou assoupissements. Il nous faut retrouver l’équilibre suite à chaque défaillance. Il en va de même pour la pratique spirituelle.  

La pratique de la méditation est une des ressources pour cheminer dans la spiritualité, le questionnement philosophique une autre. Se rendre disponible à la rencontre des autres, affronter des difficultés personnelles ou collectives peuvent devenir des ressources pour cheminer dans la spiritualité. La spiritualité s’appuie sur des valeurs, des postures et des actions concrètes qui caractérisent la pratique.

Converser à propos de spiritualité et partager nos vécus, nos perceptions, et nos différentes acceptions du terme est un exercice qui reste très difficile, périlleux et pourtant riche d’enseignements. De mon coté, ni « maître exclusif », ni courant de pensée unique ne guident mes pas. Mes ressources sont multiples. Chacune de mes relations humaines peuvent être ressource comme les différents milieux et environnements dans lesquels j’évolue. Chaque instant peut devenir ressource si j’y prête attention.

E - Des valeurs humanistes et de leur prise en compte

J’ai organisé un quadripôle autour des valeurs humanistes afin de les aborder et de les prendre en compte de façon systémique et dynamique :

  • L’esthétique dans sa dimension fonctionnelle et révélatrice de la beauté du monde autant que des actes et des pensées que nous commettons, et qui s’oppose à la laideur
  • La morale du bon, du bien et de la bonté qui s’oppose au mal ; à la cruauté, à l’humiliation de l’autre.
  • La justice et l’équité qui s’oppose à l’injustice et à toutes les formes de discrimination
  • L’éthique de la joie de vivre et de la volonté de réduire toutes les formes de souffrances qui peuvent perturber notre quotidien 

La réflexion spirituelle a induit en moi la nécessité de trouver un équilibre dynamique toujours à questionner entre les trois pôles de l’activité cérébrale et humaine :

  • L’engagement dans l’action
  • L’ouverture gratuite vers l’autre, le don de soi qui peu se réduire le cas échéant à une simple présence d’écoute bienveillante
  • La prise de recul méditative pour faire silence et être pleinement présent au réel, sans représentations ou projet autre que d’être au monde

Ces trois postures interagissent avec le quadripôle précédent des valeurs humanistes. Ceci étant posé, résultat de longue maturation, partages et visualisations mentales, comment aborder  la prise en compte d’une valeur particulière au quotidien ? Exemple : comment prendre en compte l’exigence d’action, de parole et de pensée non violente ?

La réflexion qui suit a été produite il y a déjà quelques mois. Elle intègre partiellement et sans l’exprimer directement les points précédemment développés dans cet article.

Dans notre contexte sociétal actuel très déstabilisant pour beaucoup de personnes, les militants d’une éducation à la citoyenneté cherchent à éradiquer la « violence urbaine comme la violence internationale quotidienne » par une pédagogie de la non violence exercée par l’ensemble des acteurs éducatifs parents – animateurs sociaux – intervenants en périscolaire -enseignant. La cible privilégiée est celle de la petite enfance, le moment où les valeurs de bienveillance vont pouvoir s’ancrer le plus profondément et le plus durablement. La Communication Non Violente  a donc le vent en poupe. Il est sans doute utile de rappeler qu’entre les deux guerres ont émergé les pédagogies de Freinet, de Steiner, de Montessori et « libre enfant de Summerhill » de Alexemder S.Neill. Plus jamais la guerre ! Plus jamais ça.

Il est bon de rappeler que la violence est au cœur de la vie. Par essence la vie est violence, depuis la naissance pour la mère et l’enfant, puis à la mort, fort souvent, pour les proches et le futur défunt. Violences et souffrances se conjuguent aux différents âges de la vie : les rites de passage au monde adulte, le dépit amoureux l’effort dans l’apprentissage et les défis sociétaux, le manque de reconnaissance. Il est utile de distinguer la violence de la cruauté qui est un exercice volontaire et jouissif pour faire souffrir l’autre comme le sadisme. La vie est donc violence.

La violence est aussi sociale dans les différentes formes de luttes pour survenir à ses besoins vitaux, que ce soit au sein de la famille, de la citée, à l’école et plus tard dans l’exercice d’un métier, dans les luttes entre communautés de destins, systèmes de croyances et peur de l’autre, intégrants aussi conflits, guerres, exodes et flux migratoires pour la partie visible mais aussi sournoises et cachées par les institutions, les lois, les procédures, les interdits sociaux et moraux ou encore le totalitarisme néolibéral. La techno-science contribue aussi à l’exercice d’une violence d’exclusion ou d’adaptation forcée à cette mutation numérique auto imposée par une population aisé en mal de sérénité. Cette violence du toujours plus, de cette chronophagie croissante, de la dictature de l’agenda et du smartphone a expédié dans l’au-delà de l’imaginaire, la sagesse de la vie sereine, sobre et l’acceptation paisible de ce qui est. En France aujourd’hui, plus de 130 000 jeunes sont désocialisés, hors de leur familles  et déscolarisés, véritablement mort socialement. Il n’y a plus de places pour eux. Un exemple parmi tant d’autre des violences sociales urbaines et familiales.

La violence individuelle et la violence sociétale constituent un incendie renforcé par des vents tumultueux. Nombre de spiritualités confessionnelles ont valorisé la plénitude dans l’au-delà pour accepter la violence et les souffrances induites de la vie réelle. Le symbole de la croix a valorisé ce passage à la violence rédemptrice dans la culture occidentale, rendant ainsi l’approche de la mort si inutilement traumatisante. Certes pour lutter contre l’incendie, il y a le colibri, il y a l’eau qui refroidi  et les contre feux qui raréfient l’air et contiennent ainsi l’incendie principal. J’ai lutté contre un incendie dans la merveilleuse calanque de Sormiou en 1971. Gestes dérisoires et fuite rapide par la mer car les pignes de pins attisées par ce mistral violent fusaient de partout dans cette nuit rougeoyante. Alors que faire ? Fuir, lutter, ou s’immobiliser comme la marmotte pour se rendre invisible.

La Communication Non Violente  est un bel outil de vie sociale apaisée. C’est l’eau qui permet de faire tomber la température de conflits trop enflammés Voir aussi « l’écologie du nous » un article rédigé il y a quelques temps. La spiritualité des anciens, faite d’acceptation de ce qui est, de cette violence inhérente à la vie est un beau chemin aussi. La bienveillance et l’acceptation de l’étranger de celui qui nous remet en question, tous ces chemins rendent la violence plus humaine, plus digne, plus acceptable, plus constructive aussi. Mais cela ne suffit pas. Il faut les contre-feux. Il nous faut développer la résilience individuelle et collective. Il nous faut accepter les combats et les conflits producteurs de sens et d’un meilleur vivre ensemble plus solidaire plus humain. La capacité de violence humaine et légitime est une capacité vitale indispensable à développer. Dans le champ politique l’exercice d’une violence humaine devient légitime.

J’en termine par cette réflexion politique : l’idéal démocratique a-t-il encore un sens et un avenir au XXI siècle ? Au moment aux les robots et les cerveaux post humain (techno genèse numérique) vont prendre le pouvoir, au moment ou le calcul machiniste et le poids de la corrélation  va supplanter le raisonnement, la déduction logique, les arguments et contre arguments que pourront signifier débats démocratiques  et même débats scientifiques ? j’essai d’avancer pas à pas dans cette longue réflexion des nouvelles formes de gouvernance à l’exercice du pouvoir où l’on doit discerner gouvernance, exercice du pouvoir, carte du monde multipolaire des enjeux sociétaux, nouvelles pratiques citoyennes en distinguant les communautés d’appartenances : les communautés de destins et les communautés de territoires aux différentes échelles géographiques et temporelles.

En conclusion

Ce travail d’écriture m’a permis de réactiver, d’éprouver à nouveau des connaissances lentement élaborées et faisant sens pour moi. Ce faisant je me ses disponible pour aborder sereinement et de manière plus pertinente, c'est-à-dire plus proche de mes convictions, des prochains partages d’expérience et de pratique à propos des quatre thématiques :

  • Perception des phénomènes conscients (le 15 Novembre 18h MDA grenoble)  
  • Pratique de la spiritualité
  • Pratique de la non violence
  • Percevoir et éprouver le concept de vacuité dans le cadre d’un Sesshin Zen

Ces partages seront réalisés dans des groupes de personnes différents. Pourtant ces quatre thématiques sont pour moi intimement dépendante. Cet article pourra servir de support pour découvrir  ou approfondir certain éléments du propos.

[1] Cf : posture ZaZen

[2] Cf Frédéric Nef, La force du vide, Paris, éditions du Seuil, collection L’Ordre philosophique

[3]Francois Julien figure de l’immanence - classique du changement 

[4] Yi King Livre des transformations  traduit par R. Wilhelm et Etienne Perrot