Environnement : les risques naturels sont-ils une fatalité ?

Publié par Encyclopédie Environnement, le 15 octobre 2018   2.7k

Il est habituel de distinguer les risques technologiques dus aux activités humaines comme les explosions chimiques, les ruptures de barrages, les effondrements de tunnels, et les risques naturels comme les inondations, tempêtes, séismes, mouvements de terrains, boues torrentielles, avalanches, pour ne citer que les plus courants. En région de montagne, les risques naturels gravitaires, ceux qui se développent du fait de la gravité terrestre, sont certainement les plus prégnants. Glissements de terrains, boues torrentielles, éboulements rocheux et avalanches de neige ont toujours fait l'objet de fortes craintes du fait de leur puissance dévastatrice et de leur caractère largement imprévisible jusqu’à ces dernières années. Dans le département de l’Isère, le glissement de terrain du Chambon, sans doute amorcé en avril 2015, est devenu colossal dans la nuit du 26 au 27 juillet. Environ 2 millions de tonnes de roches ont dévalé sur le flan de la montagne et endommagé gravement le tunnel du Chambon, au point de remettre en cause son intégrité physique et de conduire à la construction, d’abord d’une route de secours, puis d’un tunnel plus long et situé plus profondément à l’intérieur de cette pente schisteuse.

À gauche, glissement de terrain du Chambon au cours du printemps 2015. À droite, glissement de terrain de Las Colinas au Salvador le 13/01/2001, qui a coûté la vie à plus de 500 personnes [Source : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/seismes-glissements-terrain/]


Eboulement rocheux du Claps de Luc (France) [Source : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/glissement-eboulement-rocheux-fatalite/]


Pourquoi les mouvements des sols et des roches sont-ils aussi difficiles à prévoir ?

Les matériaux naturels comme les sols, les roches ou la neige se plient mal  à une analyse scientifique. Ils présentent en effet une grande variabilité spatiale qui rend leur résistance mécanique très différente d'un point à un autre d'une pente argileuse ou d'une falaise rocheuse. Par ailleurs, ces matériaux ont une nature granulaire, qui se prête difficilement à un calcul classique reposant sur l'hypothèse d'une matière parfaitement continue.  Ainsi, les sables sont composés de grains, les pentes rocheuses de blocs, la neige de particules. Enfin, le plus souvent, ces milieux naturels sont composés de trois phases (solide, liquide, gaz) avec un squelette solide dont les vides sont remplis par de l'air et de l'eau. Cette plus ou moins grande présence d'eau dans les interstices du sol modifie constamment sa résistance. Par exemple, on traverse sans difficulté un champ sec, alors qu'il faudra le contourner après une très grosse pluie pour éviter de s'embourber. Notons aussi que l'on passe d'une suspension argileuse à la céramique, simplement en éliminant de plus en plus l'eau interstitielle.


Schématisation des différents états de l'eau dans un sol : (a) régime hygroscopique, (b) pendulaire, (c) funiculaire, (d) capillaire [Source : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/les-sables/]


Comment lutter contre cette fatalité ?

Depuis des décennies, on construit des ouvrages en béton et des structures en métal  après des calculs que la révolution numérique des années 60 a pu rendre de plus en plus précis, fiables et rapides. Pendant cette même période, la stabilité des milieux naturels restait hors de portée des prévisions basées sur la simulation numérique. Ceci a amené les populations à considérer que les risques naturels gravitaires étaient à la fois imprévisibles par leur caractère aléatoire et impossibles à prévenir en raison de leur puissance destructrice : les catastrophes naturelles étaient considérées comme une fatalité. On évitait donc de construire en fond de vallée le long de cours d'eau susceptibles d'avoir des crues soudaines, le long de pentes réputées instables, au-dessous de falaises visiblement fracturées ou à proximité de couloirs d'avalanches.

Mais la pression démographique et le développement du tourisme en montagne ont imposé que, au-delà de la vision fataliste, on tente de prévoir les instabilités gravitaires et de s'en prémunir. Aujourd'hui, des progrès certains ont été enregistrés dans l'analyse et le calcul des risques gravitaires et, surtout, des structures et ouvrages de protection ont été conçus ; les ingénieurs ont appris à les dimensionner et ces dispositifs se sont multipliés le long des routes, autoroutes, voies ferrées et autour des zones habitées.


Le diable qui résidait dans l’instabilité devient à la portée des calculs

Un mouvement de terrain (glissement ou éboulement) ou une avalanche de neige résulte d'instabilités qui deviennent effectives du fait d'actions extérieures telles que, par exemple, une pluie diluvienne, un  séisme, ou une excavation d'origine humaine. Pour caractériser ces instabilités en prenant en compte les spécificités des matériaux naturels, des critères commencent à être disponibles et peuvent être introduits dans des codes de calcul. Les codes mis en œuvre dans des bureaux d'études spécialisés rencontrent encore des limites dans la simulation du caractère tri-phasique de ces matériaux et de leur nature discrète. Mais les nouvelles méthodes numériques en cours de développement dans les laboratoires permettent de prendre en compte plusieurs millions de particules de sols, de blocs rocheux, de grains de neige en interaction les uns avec les autres et avec le fluide qui les sépare au sein d'une pente ou d'une falaise. A titre plus exceptionnel, des milliards de grains peuvent être aujourd'hui modélisés numériquement en faisant appel aux super-calculateurs les plus puissants.


Modélisation numérique d'une pente de sol à Trévoux (France), décrite par un maillage en deux dimensions (coupe plane du terrain) supposant un sol continu sans vide [Source : https://www.encyclopedie-environnement.org/physique/comment-matiere-deforme-fluides-solides/].



Méthode numérique décrivant de manière individuelle discrète chaque grain de matière : ici un cube de 10000 particules sphériques de tailles variées a été modélisé numériquement [Source : https://www.encyclopedie-environnement.org/physique/comment-matiere-deforme-fluides-solides/].


Si l’on ne peut prévoir, peut-on se protéger ?

Concernant les dispositifs de protection contre les risques naturels gravitaires, là aussi une révolution est en cours que chacun peut constater dans les régions montagneuses. Autrefois les pare-pierres et pare-avalanches étaient constitués de structures rigides constituées de poutres métalliques, ancrées dans des massifs de béton et reliées par de gros madriers. Aujourd'hui la nouvelle génération d'ouvrages de protection est constituée par des structures flexibles, beaucoup plus légères et faciles à mettre en œuvre. Le principe des mailles métalliques, constitutives de ces structures, est issu des filets mis en place sous l'eau pour barrer l'entrée des ports aux sous-marins ennemis lors de la seconde guerre mondiale. Ce même principe de filets métalliques flexibles est également mis en œuvre comme pare-avalanches et pour filtrer et retenir dans les torrents les plus gros éléments susceptibles de donner lieu à des boues torrentielles. Des filets à mailles métalliques beaucoup plus fines sont aussi ancrés par des tirants en façade de falaises rocheuses dégradées pour freiner puis arrêter la chute de petits blocs.


Filet, métallique souple, pare-pierres de protection contre les éboulements rocheux à la Ripaillère (France) [Source : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/glissement-eboulement-rocheux-fatalite/]


Des ouvrages souples linéaires de remblais, appelés merlons, réalisés en terre renforcée par des nappes de géotextiles ou comprenant une façade de gabions empilés, peuvent être placés à l’amont de constructions (bâtiments, routes ou voies ferrées). Ils permettent de stopper les blocs rocheux les plus avancés d'un éboulement, ou bien la pointe d'un glissement de terrain, ou encore de canaliser et dévier une boue torrentielle. Un gabion est cet élément de structure largement présent aujourd'hui le long des routes constitué d'une cage de grillage métallique remplie de blocs rocheux de taille décimétrique.


Merlon de protection en forme de S protégeant un ensemble de constructions contre des chutes de blocs rocheux [Source : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/glissement-eboulement-rocheux-fatalite/]


Bientôt des prévisions plus fiables

Les méthodes numériques de trajectographie, basées sur une description discrète individualisée des blocs rocheux susceptibles de se détacher d'une falaise, parviennent aujourd'hui à modéliser les parcours de ces blocs avec un bon rendu statistique, grâce à une simulation plus précise de la mécanique des rebonds. Des algorithmes d'intelligence artificielle sont en cours de mise au point dans les laboratoires pour parvenir à traiter les mesures de déplacements sur une pente ou une falaise ainsi que les pressions d'eau interstitielle à l'intérieur des massifs. Toutes ces données sont fournies par les multiples capteurs disposés sur et dans les terrains instables. Ces grands ensembles de mesures constituent ce que l'on appelle maintenant les "mégadonnées". A partir d'une banque de données ayant permis l'apprentissage du réseau neuronal artificiel, le code d'intelligence artificielle pourra détecter les zones qui deviennent critiques et proposer aux autorités de surveillance les mesures qu’il conviendrait de prendre.

Les risques naturels gravitaires garderont encore longtemps un certain caractère aléatoire. Mais, dès aujourd'hui, des dispositifs d'alerte, basés sur des réseaux de capteurs, sont opérationnels et les structures et ouvrages de protection se sont multipliés dans les vallées et sur les flancs des montagnes pour mieux les sécuriser. Notons cependant que les conséquences du changement climatique, dans ce domaine comme dans d’autres, vont largement augmenter le nombre et la superficie des sites instables, susceptibles de devenir dangereux lors d'événements réputés jusque-là exceptionnels.

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L’Encyclopédie de l’environnement présente de manière plus détaillée les différents risques naturels et les dispositifs de protection aujourd'hui disponibles.

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