[2021-09] Imaginez si nous vivions dans un monde sans “addiction” au sucre …

Publié par Association Infusciences, le 3 septembre 2021   1.3k

Ces derniers temps, qui n’a pas entendu parler d’un ami d’une amie qui a décidé de faire un régime sans sucre et qui se sent vraiment tellement mieux sans cette “cochonnerie”. Pourtant le sucre fait partie des nutriments nécessaires au cerveau humain pour fonctionner. Mais alors existe-t-il réellement une “addiction au sucre”, est-ce une nouvelle mode ou un problème plus global de santé publique ?

Déjà on dit le sucre ou les sucres ?

Et bah en fait les deux mais ces deux termes ne sont pas utilisés dans les mêmes champs lexicaux. Il y a les sucres dans le langage scientifique et le sucre dans celui de la cuisine et de la vie courante.

Ainsi en tant que molécules biologiques les plus présentes sur la terre, les sucres sont des chaînes, semblables à des colliers, composées de perles de carbone, d’hydrogène et d’oxygène. Ces chaînes ont des formes différentes, c’est pourquoi il existe un grand nombre de types de sucres qui peuvent aussi s’assembler. Vous avez peut-être déjà entendu parlé du saccharose, composant principal de nos carrés de sucre mais aussi de la cellulose du bois, du fructose des fruits et de l’amidon du blé. Une fois ingérés, ces sucres sont cassés en plus petites molécules, comme le glucose, par un processus appelé l’hydrolyse puis ils sont absorbés par les cellules intestinales avant de passer dans le sang pour être transportés à leur destination finale. Par exemple, le glucose est majoritairement utilisé par le cerveau pour son fonctionnement.

Le sucre, qui est en fait du saccharose, n'apparaît dans nos cuisines qu’à partir du Moyen Age. On parle alors de cassonade. Elle est extraite des cannes à sucre en Asie du sud, est brune et peut être raffinée pour devenir blanche. Il faudra attendre le début du XIXème siècle pour que du sucre soit produit en Europe grâce à des betteraves sucrières. A noter, que ce sucre est naturellement blanc et peut devenir roux après cuisson. Aujourd’hui, la France est le premier pays européen producteur de sucre.

Dessin illustrant la fabrication du sucre.

Il existe aussi d’autres substances avec des pouvoirs sucrants que l’on appelle les édulcorants et qui sont souvent connus pour leur pouvoir calorique bien plus bas que celui du saccharose. Au fil des années, les sucres ont dévoilé d’autres capacités que leur simple goût. Ils sont aujourd’hui utilisés dans tous les aliments comme exhausteurs de goût, c'est à dire qui qu'ils augmentent l'intensité de la perception du goût, mais aussi comme agents de texture, conservateurs, colorants, agents de fermentation,… notamment dans les produits ultra transformés.

Pourquoi aime-t-on le sucre ?

Tout d’abord parce qu’il fait partie de notre alimentation. Cette dernière a différentes fonctions dans nos vies. La plus importante est la fonction nutritionnelle mais il existe aussi celle du plaisir, la fonction symbolique et la fonction sociale.

Lors de l’ingestion d’aliments, le goût sucré, celui du saccharose ou celui des édulcorants, est détecté par les papilles gustatives qui regroupent des cellules sensorielles. Elles le reconnaissent comme un stimulus sucré qui va activer le circuit neuronal de la récompense, ou circuit mésolimbique, en entraînant la libération  de dopamine. Celle-ci régit le comportement humain puisqu’elle « félicite » l’humain par une sensation de bien-être lorsqu’il répond à un des besoins primaires du corps, ici celui de se nourrir et d’apporter de l’énergie, du glucose. Ainsi dès la naissance, les nourrissons associent le goût sucré au plaisir notamment car il faut qu’ils mangent du lait, contenant du lactose, et des fruits, contenant du fructose, pour bien grandir. Pourtant cette appréciation juvénile, ne se poursuit pas forcément à l’âge adulte et elle diminue avec le ralentissement de la croissance.

La dopamine, en tant que neurotransmetteur, est aussi impliquée dans les phénomènes de motivation, de désir, de mémoire et d’attention. Ainsi le système de récompense activé notamment par le sucre prend en compte l’environnement de l’ingestion et se base sur l’apprentissage de valeurs positives ou négatives associées à un aliment ou à une situation. Ainsi chaque individu développe sa propre liste d’aliments et de goûts préférés en fonction d'événements associés comme par exemple un moment joyeux passé avec sa grand-mère à manger des galettes.

Mais on n’avait pas dit que l’on parlait d’addiction ?

Quand on parle d’addiction, on pense aux drogues, aux jeux,… Il s’agit là de la reproduction d’un comportement, c’est-à-dire une compulsion, qui peut produire du plaisir ou permettre d’échapper à un malaise intérieur mais avec une difficulté à contrôler ce comportement. Ainsi  l’individu poursuit ce comportement, malgré l’incapacité à répondre à ses obligations, une mise en danger,…

Le terme le plus juste à employer est celui de dépendance qui peut être de deux types : 

  • physique qui peut se traduire par l’augmentation progressive de la dose ingérée pour obtenir le même effet et par un sevrage physique difficile en cas d’arrêt 
  • psychique qui recherche surtout à maintenir le plaisir.

Et l’addiction au sucre alors ?

Des tests sur la dépendance au sucre ont été réalisés sur des rongeurs et on retrouve, chez eux, une compulsion à consommer du sucre s’ils en ont été privés. On peut observer la même chose lors de prises répétés des drogues avec de l’hyperphagie, absorption d’une quantité énorme de substance, et des symptômes de sevrage. Mais ce modèle n’est pas forcément exactement comparable à celui des humains puisque contrairement à chez les rongeurs, auxquels on donne de l’eau sucrée, il est très difficile d’étudier l’impact du sucre seul chez les humains puisqu’il fait partie intégrante de notre alimentation globale à la différence des drogues. De plus, il est important de noter que si le sucre entraîne des effets délétères sur les rongeurs, ceux-ci se détournent de sa consommation alors que ce n’est pas le cas pour des prises de cocaïne.

Crédit : Image par John Hain de Pixbay

D’autres arguments semblent exister pour mettre en doute la terminologie « addiction » au sucre. On observe une différence très marquée au niveau de la temporalité lors de prise de drogues ou de prise de sucre. Les effets des drogues sur le cerveau sont très rapides et ponctuels alors que celles du sucre sont beaucoup plus lentes. Le corps humain régule automatiquement la concentration de sucre dans le sang, appelée glycémie. Il le fait grâce à la libération d’hormones par le pancréas : l’insuline entraîne le stockage du glucose pour diminuer sa concentration sanguine, et à l’inverse, le glucagon libère le glucose stocké. Les variations de dose de sucre dans le sang sont donc rarement ressenties jusqu’au cerveau. 

Dans les addictions, on parle aussi de “doses dépendance”, c’est-à-dire d’une augmentation croissante de la dose nécessaire pour arriver à obtenir la même sensation de plaisir mais ce n’est pas le cas avec le sucre car après chaque prise sucrée la quantité de dopamine dans le corps revient à son niveau initial, dit basal. L’individu aura le même plaisir à manger un bonbon aujourd’hui que dans trois jours. De plus, le principal problème dans la prise de drogues est le fait de manquer alors que dans le cas du sucre, ce serait plutôt son accessibilité grandissante qui pose problème.

Les études mises en place actuellement se concentrent peu sur le sucre mais elles tendent surtout à mettre en lumière des addictions alimentaires sans incriminer spécifiquement le sucre mais en s’intéressant surtout au comportement des individus. Ce sont ces comportements compulsifs qui sont mis en cause dans l’apparition de maladies telles que l’obésité et le diabète pour lesquelles le sucre devient un facteur indirect. Sa surconsommation entraîne une prise de poids à cause d’un apport énergétique trop important. Le sucre ne peut pas être le seul incriminé.

Pour conclure

Il n’y a aucune preuve actuelle que la compulsion à manger du sucre que certain·es peuvent ressentir parfois soit assimilable à une addiction ou à une dépendance, comme celle développée pour les drogues malgré certaines similarités comportementales et neurochimiques. Cependant, les informations de récompense reçues par le cerveau humain, lors de l’ingestion de nourriture ou lors de la prise de drogues, passent par les mêmes parties du système neuronal, sans avoir pour autant le même impact.

L’usage du terme addiction n’est pas forcément le bon quand on parle de sucre mais les compulsions alimentaires et l’ajout de sucre dans les aliments n’en sont pas moins des problèmes de santé publique à surveiller d’urgence grâce à des études plus ciblées.

Léa MARTEL 

Crédit photo couverture : myriams-fotos de Pixabay


Bibliographie :

Le Corre Camille. Une « addiction au sucre » en cause dans l’obésité ?, Sciences pharmaceutiques, 2020, En ligne. Disponible sur : https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/MEM-UNIV-CAEN/dumas-03064644v1

Nicklaus Sophie. Addict au sucre : vrai ou faux ?. 21. entretiens de nutrition de l’institut Pasteur, Institut Pasteur de Lille, Jun 2019, Lille, En ligne. Disponible sur : https://hal.inrae.fr/hal-02735192/document 

Divert Camille et Nicklaus Sophie, Le goût sucré, de l’enfance … à la dépendance ?,  Cahiers de Nutrition et de Diététique, Volume 48, Dec 2013, pages 272-281, En ligne. Disponible sur : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01249251/document