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L'EEG a-t-il confondu l'assassin de l'assassin de Kennedy... ou son neurologue ?

Publié par Laurent Vercueil, le 11 février 2017   4.1k

L'électroencéphalogramme (EEG) consiste dans l'enregistrement de l'activité électrique produite par le cerveau vivant. Il est indispensable au diagnostic d'une épilepsie (1, voir le dossier), mais contribue également à d'autres situations cliniques, notamment en réanimation. Il s'agit d'un examen indolore, sans contre-indication et sans effets secondaires (voir ici, par exemple).

Le recueil du signal électrique cérébral conduit le neurologue en charge de l'interprétation à distinguer ce qui est normal, de ce qui est pathologique. Or, il arrive que certains signaux présentent les caractéristiques physiques d'une activité pathologique, alors qu'ils sont... normaux. C'est ce que l'on appelle des "faux positifs". Un faux positif est un résultat qui est anormalement positif, c'est-à-dire qui indique un problème (une maladie, en l'occurrence) alors que le problème est absent. C'est ce qui caractérise la spécificité (2) d'un test (ici, celle de l'EEG).

Trois grands types de faux positifs sont identifiés lors de l'EEG : 1) les artéfacts, 2) les activités physiologiques inhabituelles, et 3) les activités pathologiques "fortuites", c'est à dire sans lien avec la situation clinique.

Le premier et le troisième type sont repérables par l'analyse critique des données du tracé EEG ou de la situation clinique par le praticien. Mais le second type peut poser plus de problèmes. J'en veux pour exemple, l'histoire de Jack Ruby, le meurtrier de Lee Harvey Oswald, au lendemain de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, le 22 novembre 1963, assassinat dont Oswald était soupçonné. To make short a long story, Ruby est celui qui a tué celui qui a tué JFK.

Au cours de procès de Ruby, la défense a présenté les données de son EEG à l'appui de la thèse selon laquelle il aurait commis le crime au cours d'une crise épileptique. L'activité EEG de Ruby comportait un rythme sur la région temporale, que le neurologue de Chicago, pionnier de l'EEG, Gibbs, avait appelé "le variant psychomoteur". Pour Frederic A. Gibbs, ce rythme était l'indice fiable que Ruby pouvait avoir commis son meurtre au cours d'une crise d'épilepsie .

Curieusement, d'autres faits bizarres ont été versés à ce dossier : Le doigt de Ruby qui est sur la gachette est le majeur, et non l'index. La position étrange de la main gauche, fermée et celle du coude, en flexion, n'est pas sans évoquer la posture observée au cours d'une crise impliquant la région temporale.

Ruby semble avoir été emporté par un acte impulsif, non prémédité. Comme si rien ne l'avait destiné à tuer Oswald. C'est l'argumentaire de la défense.

Mais l'arme à feu ? Mais sa présence au moment du transfert d'Oswald ?

Ruby ne se séparait pas de son arme, car il était amené, professionnellement, à transporter de grosses sommes sur lui. De plus, il avait tendance à se présenter partout où il se passait quelque chose, et, pour ses connaissances, sa présence sur le trajet du transfert d'Oswald n'était pas une surprise.

En définitive, les arguments n'ont pas été retenus par les juges, et Ruby fut condamné. L'EEG ne fut pas assez convainquant, ou peut-être était-ce Gibbs, lui-même...

Gibbs se trompait en croyant tenir, avec les données de l'EEG, un indice fiable d'une épilepsie chez Ruby. Depuis les années 60, la fameuse "décharge rythmique temporale moyenne" a été mise en évidence chez de nombreux sujets sains et le lien avec la présence éventuelle d'une épilepsie est aujourd'hui remis en question. De fait, on considère qu'elle ne peut aucunement constituer un argument isolé en faveur de ce diagnostic.

En somme, l'EEG a trompé Gibbs, mais pas la justice.

Tout examen diagnostique comprend un risque d'erreur (3). Soit qu'il met en évidence un phénomène fortuit, sans lien avec le problème en cours, soit qu'il matérialise l'éventail large de ce qu'on appelle les "variants" de la normalité. C'est le cas avec l'imagerie médicale. Parmi les IRM dites "normales", certaines le sont un peu différemment. Cela ne change rien à l'affaire : la clinique reste souveraine. A l'heure de la technicisation à outrance de la médecine, il convient de s'en souvenir.


>> Notes

(1) L'épilepsie est une maladie définie par la survenue d'au moins une crise et l'association d'un facteur de prédisposition à la crise d'épilepsie. La démonstration d'anomalies EEG "épileptiques" permet cette identification d'un facteur de risque de crise. Alternativement, la survenue de deux crises non provoquées suffit également à poser un diagnostic d'épilepsie. Il sera question de tout cela le 13 février !

(2) La spécificité s'oppose à la sensibilité, autre propriété d'un test. Alors qu'une spécificité élevée assure que le résultat positif relève, effectivement, du diagnostic recherché (à 100%, la spécificité signifie qu'aucun cas diagnostiqué à l'aide de ce test n'est pas lié à la maladie recherchée), la sensibilité assure qu'aucun cas n'a été raté par le test (à 100%, tous les cas recherchés ont été dépistés). Les deux qualités du test reposent souvent sur des propriétés qui sont peu compatibles, et se payent au prix l'une de l'autre. Une spécificité élevée est assurée au détriment d'une sensibilité médiocre. Et inversement. Le coût peut également différer : le plus souvent, un test sensible est peu onéreux et peut s'appliquer à une grande population, tandis qu'un test spécifique est cher, et ne peut être diffusé trop largement. C'est la raison pour laquelle, des tests sont souvent combinés : un test sensible, économique, est appliqué à une grande population et permet de dépister une population qui est susceptible de présenter le problème recherché. A cette population sélectionnée, un deuxième test spécifique est proposé, qui confirme ou infirme, le diagnostic envisagé.

(3) Ce billet est inspiré du travail de préparation d'une présentation prévue au prochain congrès de la société de neurophysiologie clinique de langue française , intitulé "Comment améliorer la spécificité de l'EEG ?" (Vincennes, 2017). L'auteur y tentera, en recourant, pourquoi pas, à l'exemple de Jack Ruby, de proposer des moyens de se protéger contre l' "over-interpretation" de l'EEG.