Y aura-t-il de la neige dans les Alpes l’hiver prochain ?

Publié par Encyclopédie Environnement, le 13 novembre 2018   5.6k

À cette question, la réponse est évidemment oui. L’altitude des Alpes et leur latitude rendent l’enneigement très probable sur la majorité du massif. Si maintenant la question devient « Y aura-t-il plus ou moins de neige dans les Alpes l’hiver prochain qu’en moyenne sur les 50 dernières années ? » la question n’est plus une question de climatologie, mais d’évolution de la climatologie. La réponse est alors « probablement moins ». En effet, comme le montrent les projets de recherche récents, dont le projet Adamont, le réchauffement climatique mondial causé par les activités humaines, qui se manifeste depuis le début de l’ère industrielle mais qui n’est vraiment sensible que depuis les années 1990, a un impact tout particulier sur la quantité moyenne de neige au sol dans la tranche d’altitudes 500-2500 m. C’est un phénomène à évolution lente et irréversible pour les prochaines décennies. Il n’est pas exclu que, lors de certains rares hivers futurs, on n’observe un enneigement exceptionnellement élevé (par exemple, l’hiver 2017-2018), d’où l’adjectif « probablement » dans la réponse concernant l’hiver prochain. Mais la question qui brûle les lèvres est la troisième : « Y aura-t-il plus ou moins de neige dans les Alpes l’hiver prochain qu’en moyenne sur les 10 dernières années ? ».    


Nous sommes typiquement ici sur une question de prévision saisonnière. Personne n’a la naïveté de croire que la réponse va être précise et déterministe. Il suffit de considérer les prévisions émises une semaine à l’avance par les médias qui s’appuient sur des services météorologiques sérieux, pour réaliser que la qualité d’une prévision du temps se dégrade très vite avec l’échéance. Il existe pourtant des phénomènes dont on peut prédire les caractéristiques saisonnières quelques mois à l’avance, avec un taux de réussite raisonnable. L’exemple le plus connu est la température de l’océan Pacifique équatorial (phénomène El Niño : voir notre article La Prévision saisonnière). L’enneigement alpin fait-il partie de cette catégorie de phénomènes ?

 

Une réponse sans équivoque

 

Pour mesurer la qualité de la prévision de phénomènes physiques, on a recours à des scores, dont le plus employé est le coefficient de corrélation. Ce nombre est compris entre -1 et 1. Une prévision qui ne se trompe jamais est gratifiée de la note 1. Une prévision sans la moindre valeur, pour laquelle un tirage au sort donnerait sur le long terme le même taux de succès est notée 0. Enfin, pour une prévision qui systématiquement proposerait l’opposé de la réalité, le coefficient de corrélation est -1. La partie gauche de la figure ci-dessous, tirée de l’article La Prévision saisonnière de l’Encyclopédie de l’Environnement, montre que sur les Alpes en hiver le coefficient de corrélation pour la température moyenne pendant les mois de décembre, janvier et février est 0.2. C’est le même score que pour une prévision à 12 jours, autant dire très peu. Quant aux précipitations, la partie droite de la figure  montre que le score est proche de zéro. 


Coefficient de corrélation entre une prévision d’hiver et l’observation correspondante pour les températures (à gauche) et les précipitations (à droite). (D’après l’article La Prévision Saisonnière sur l'Encyclopédie de l'Environnement)

                 
 
Néanmoins une bonne prévisibilité de la température et des précipitations à l’échelle saisonnière ne suffit pas à prévoir la quantité de neige tombée ou fondue au cours de la saison. Il faut en effet une concomitance des événements. Un hiver froid et humide peut être un hiver avec un mois de février très froid et sec qui suit un mois de janvier doux et pluvieux. En revanche, la prévision de l’enneigement en cours de saison peut bénéficier de la connaissance de l’état initial du manteau neigeux, qui conditionne en partie son évolution : en effet, le manteau neigeux ne peut ni fondre instantanément, ni, en général, s’accroître démesurément en quelques jours, quand on considère les choses à l’échelle de la saison. C’est donc essentiellement sur la connaissance des stocks initiaux de neige que l’on peut anticiper de l’enneigement le plus probable. Le projet Européen PROSNOW a pour principal objectif  une meilleure gestion de l’enneigement par les stations de sport d’hiver en s’appuyant sur les services météorologiques et climatiques. Avant le début de la saison les stocks sont en général inexistants, donc la prévisibilité saisonnière est faible. Elle s’améliore en cours de saison et peut permettre d’ajuster la tactique de gestion de neige, afin d’éviter une surproduction de neige de culture, ou une production insuffisante pour le fonctionnement de la station jusqu’à la date de fermeture.

 

Cette réponse est-elle définitive ?

 

Quand on considère les progrès de la prévision saisonnière depuis les années 1980, on peut espérer que dans vingt ou trente ans, la qualité de la prévision saisonnière sera bien meilleure qu’aujourd’hui pour le phénomène qui nous intéresse. A l’heure actuelle, deux perspectives nous sont offertes.  

La première est ce qu’on appelle machine learning et qui s’appelait autrefois adaptation statistique. Il s’agit de combiner la prévision de phénomènes accessibles aux modèles numériques avec de longues séries d’observation. En Europe, le phénomène dit « Oscillation Nord-Atlantique » (NAO, voir notre article La Variabilité climatique : l'exemple de l'Oscillation nord-atlantique) peut se prévoir à l’échelle saisonnière avec un coefficient de corrélation proche de 0.6 pour les systèmes de prévision les plus récents, ce qui correspond au score d’une prévision météorologique à 5 jours. Comme le montre la figure ci-dessous, la phase positive ou négative de l’indice NAO peut jouer sur l’enneigement via la température et les précipitations. Les méthodes basées sur le lien entre des phénomènes de grande échelle et le temps à l’échelle locale ont été la base des méthodes de prévision à longue échéance dès les années 1950. Elles ont été abandonnées au profit des modèles de prévision numérique dans les années 1990, car la prévision de la grande échelle (position des anticyclones et des dépressions) était le maillon faible du système, ne reposant que sur la persistance des structures, ou la répétition de phénomènes passés . En outre et la longueur des séries pour l’apprentissage ne dépassait pas quelques dizaines d’années. Grâce aux progrès des modèles numériques et à la disponibilité de séries météorologiques reconstruites (on parle de ré-analyses) couvrant plus d’un siècle, cette approche peut être envisagée pour améliorer la prévision de l’enneigement sur les Alpes.

 

Phases positive et négative de l’Oscillation Nord-Atlantique (NAO) qui illustrent la sensibilité du massif alpin aux fluctuations de la circulation atmosphérique au-dessus de l’océan. [Source : d’après https://fr.wikipedia.org/wiki/Oscillation_nord-atlantique]



La deuxième perspective est l’utilisation de modèles numériques plus fidèles à la réalité. La principale mémoire du système climatique est située dans l’océan. L’océan échange son énergie, son eau et son mouvement avec l’atmosphère aux latitudes tempérées par des tourbillons d’une dizaine de kilomètres de diamètre. A l’heure actuelle, les modèles de prévision saisonnière ne représentent pas explicitement ces tourbillons, mais simulent leur effet moyen. Il faudrait multiplier par cinquante environ la puissance de calcul pour pouvoir le faire. A l’horizon de dix ou vingt ans, c’est tout à fait envisageable quand on sait la progression de nos moyens de calcul depuis la fin du siècle dernier. La prévision des probabilités de phases du phénomène NAO sur une saison, et de ses conséquences sur l’enneigement pourrait en tirer un grand profit.

 

Et pour les autres massifs ?

 

L’Europe occidentale est une des régions les plus défavorisées en terme de prévisibilité mensuelle à saisonnière. Les régions tropicales, le cœur des masses continentales connaissent des phénomènes météorologiques plus persistants. Le phénomène El Nino est à l’origine d’un phénomène atmosphérique appelé Amérique du Nord-Pacifique (PNA), qui est le pendant pour l’Ouest américain du NAO pour l’Europe, mais qui est bien plus prévisible. Ainsi, l’enneigement des Rocheuses peut être prédit dès l’automne avec une certaine confiance. Mais pas avec une certitude absolue.


Un article de Michel Déqué (CNRM, Université de Toulouse, Météo-France, CNRS, Toulouse, France) et Samuel Morin (Univ. Grenoble Alpes, Université de Toulouse, Météo-France, CNRS, CNRM, Centre d'Etudes de la Neige, Grenoble, France) pour l’Encyclopédie de l’Environnement .


En savoir plus avec les articles de l'Encyclopédie de l'Environnement :

 

Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier d'UGA Éditions dans le cadre du programme "Investissement d'avenir", géré par l'Agence nationale de la Recherche.




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