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L'illusion des mini-bras qui essayent de t'attraper le bidon : comment ça marche (en rêve)

Publié par Laurent Vercueil, le 15 mai 2018   3.2k

Le goût du public pour la surprise que procurent les illusions ne s'épuise pas. Depuis Rome, où l'on peut admirer la fausse perspective de Borromini (1599-1667) au Palazzo Spada (la photographie principale qui illustre cet article), jusqu'à Chambéry, où se tient jusqu'à l'automne prochain, une exposition très riche sur le sujet (voir aussi le flyer en pièce attachée), l'œil est toujours ravi de se perdre en fausses conjectures. 

De fait, les illusions sont nombreuses à nous étonner, créant le mouvement où tout est immobile, déformant les visages en caricatures, attribuant des propriétés qui n’existent pas comme des teintes ou des couleurs, etc.

Parmi les plus connues, le célèbre échiquier d'Adelson, où les cases A et B sont de la même couleur. 

Les segments de Mûller-Lyer

etc, etc. (allez voir l'exposition de la galerie Euréka à Chambéry).

Mais les rêves sont tout aussi fascinants. Et nous sommes familiers des distorsions perceptives qu'ils produisent, des collisions inattendues, etc. J’ai déjà raconté un rêve lucide au cours duquel je m’étais autorisé un méfait dont mon épouse m’avait fait le reproche (« ce n’est pas une raison parce que tu es en train de rêver que tu dois arnaquer le forain ! »).

Or, voici que dernièrement, j’ai rêvé d’une très belle illusion visuelle. 

A ce point qu'au réveil, je me demandais si l’illusion avait été réelle, ou si elle faisait aussi partie de mon rêve. C'est-à-dire : est-ce que j'ai été victime d'une illusion qui aurait également produit ses effets à l'état de veille, ou l'illusion relevait-elle de la mécanique seule du rêve (1, 2) ?  

Or donc voilà : je ne sais plus très bien dans quelles circonstances, j’avais été amené, avec d'autres personnes, à tester des illusions visuelles. Je me souviens plus précisément de l’une d’entre elles, qui était particulièrement réussie : il fallait tenir devant soi, à bout de bras, une longue feuille de papier dont l’extrémité inférieure était découpée en deux franges qui flottaient, car il soufflait comme une légère brise. Les dimensions de la feuille étaient telles que l'extrémité inférieure se trouvait au niveau du ventre du sujet observateur. 

Il y avait deux points de fixation. Cela signifie que l’observateur (moi) devait fixer chaque point avec chacun des deux yeux. C’est à la fois très bizarre, tout à fait inhabituel, et très difficile. Dans la plus part des illusions visuelles, il y a un seuil point de fixation et il est assez aisé, en utilisant la convergence oculaire, de le fixer. Mais fixer deux points à la fois avec chaque œil est très compliqué, quasiment impossible, comme j’en faisais l’expérience pendant mon rêve. Ainsi, je ne cessais de porter alternativement ma fixation vers l’un ou l’autre point.

Il n'empêche, ça a marché. 

Oui, en dépit de mes difficultés à bien respecter la consigne de "fixation double", l’illusion a parfaitement fonctionné : les franges découpées au bas de la feuille se sont transformées en petit bras griffus, qui tentaient de m’attraper. Le comique de la situation, que nous ne manquions pas de remarquer avec mes collègues présents, venait des mouvements de contorsion du tronc de l’observateur qui tentait d’échapper aux mini-bras s'agitant vers son ventre comme pour le pincer.

J'ai réfléchi (toujours dans mon rêve) à l'explication neurologique à donner à cette illusion. Il était vraisemblable qu'un mouvement détecté en périphérie du champ de vision soit attribué à un évènement biologique potentiellement menaçant. De plus, le caractère pair, double, des appendices mobiles pouvait faire évoquer des membres. L'élaboration du cerveau à partir de signaux ambigus et périphériques aboutissait à la perception nette de deux bras s'agitant vers moi. 

Mais l'illusion était d'une précision diabolique dans le détail.  

Et quant à moi, je ne pouvais rester immobile en voyant les mini-bras tenter de m'agripper la couenne. 


NOTES

1) Je pencherais pour la deuxième hypothèse.

2) Il s'agit d'un questionnement rémanent : un peu comme lorsqu'à la suite d'un rêve lucide, je m’interrogeais sur la possibilité qu’il puisse s'agir non d’un "vrai" rêve lucide mais du rêve d’un rêve lucide.  Là aussi, l'hypothèse privilégiée est celle d'un rêve de rêve lucide. D'une manière générale, on peut considérer que nos connaissances diurnes influencent le contenu de nos rêves et peuvent très bien expliquer certains effets, y compris celui d'être la "victime" d'une illusion ou de penser qu'on en train de rêver, "comme dans un rêve lucide".