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Le cerveau des gens qui mangent bio va-t-il si mal ?

Publié par Laurent Vercueil, le 22 octobre 2016   4.2k

Comme nombre de mes contemporains, je fréquente des épiceries et chaînes « bio » qui proposent des aliments et produits issus de filières respectueuses de l’environnement ou de la vie animale.

Comme nombre de mes contemporains, je dois ressentir, en me comportant ainsi, un certain contentement à savoir que mon empreinte écologique est réduite, que mon impact sur l’environnement est limité, et que, somme toute, j’évite, en tout cas, d’aggraver une situation écologique générale préoccupante.

Comme nombre de mes contemporains, je caresse avec volupté le sentiment que ces achats peuvent, aussi, me faire du bien. Un aliment « bio » doit nécessairement être meilleur pour ma santé qu’un produit industriel, soustraction faite des additifs et colorants, des conservateurs et polluants, des pesticides et toxiques cancérigènes que des individus cupides et irrespectueux déversent à grand wagon dans nos estomacs.

Pour ce dernier point (au sujet des bienfaits de l’alimentation bio sur la santé), l’honnêteté me conduit à reconnaître que les arguments présentés à l’appui de cette thèse m’ont toujours semblé un peu manichéens, sans doute simplistes, et je préfère entretenir une illusion de bienfaisance ironique, sans tout à fait y croire, en attendant que des études rigoureuses établissent les faits de manière indiscutable.

Quoiqu’il en soit, un détail m’a souvent frappé.

Dans ces boutiques « bio » judicieusement achalandées, on trouve un rayon, ou présentoir, dont le contenu ne peut manquer d’inquiéter : il s’agit d’alerter l’acheteur potentiel sur l’intérêt qu’il trouverait à gagner en « authenticité », en « bien-être » ou en « harmonie avec le corps », à coup de stages et conférences, séances ésotériques et produits biodynamiques, de parfums miracles et huiles essentielles…

Piles d’affichettes et flyers (1), de cartes de visite, de produits à renifler, à boire ou à consommer, dont le but est de permettre au sujet de surmonter stress et malaise intérieur, pour vivre sereinement, développer une pensée positive, atteindre une vie heureuse et s'acceptant mieux. Telle formation ou stage lui donnera l’opportunité de développer toutes ses potentialités, de devenir enfin lui-même, en levant ses inhibitions, en se libérant de ses blocages.

De sorte que le quidam poussant son caddie dans ces rayons est pris d’angoisse : va-t-il donc si mal ? L’alimentation bio ne lui permet-elle pas de pouvoir se passer précisément de ces ressources-là ? Il semblerait que ce soit le contraire qui soit vrai : on trouve davantage en magasin bio ces injonctions à « aller mieux » que partout ailleurs, même en pharmacie ou chez son docteur…


Comment expliquer une telle insistance ? En continuant, un poil accablé, mon chemin au milieu des courgettes et des potirons, je formulais quelques hypothèses dont voici les 6 plus robustes :

La première hypothèse est, à vrai dire, une boutade et je lui dois le titre de ce billet, tandis que les suivantes pourront étayer une réflexion plus générale sur ce qui motive cet empressement à nous faire aller mieux :

1- Hypothèse "toxique"

Nous trouvons en magasin bio les moyens de soigner notre dépression, notre mal-être : ce lien peut suggérer que l’alimentation bio expose à une certaine souffrance psychique. D'où la proposition ostentatoire de soins. C'est, en quelque sorte, soigner le mal par le mal, puisque les produits proposés sont eux-mêmes issus des filières "bio", ou inspirées du discours "bio".


2- Hypothèse de l'inquiétude personnelle

La recherche d’une alimentation « saine », peut témoigner d’un certain souci de soi. D’une inquiétude à propos de son état de santé, présent ou futur. Cette inquiétude signale un sentiment d’insatisfaction (vis-à-vis de soi, des autres, ou du monde moderne tel qu’il existe) qui englobe son propre fonctionnement psychique. Le sujet qui se préoccupe de son alimentation se préoccupera aussi de l’état de sa pensée. S’il est insatisfait du monde tel qu’il est, il peut aussi ne pas de satisfaire de se sentir perpétuellement insatisfait. C’est dans ce sens que je comprend les appels à « mieux s’accepter » que l’on rencontre sur ces prospectus.


3- Hypothèse de la perméabilité aux croyances

La foi dans les vertus bénéfiques d’une alimentation sélective (« bio », végétarienne, etc. Alimentations dont j’ai déjà dit qu’il existait un autre argument en faveur - moins nuire à son environnement - qui est plus étayé) signale une propension à reconnaître une causalité là où l’évidence peut faire défaut. Manger bio, supprimer la viande, le poisson, ou les produits lactés, peut avoir un impact sur l’état de santé, tant positive que négative (carentielle, par exemple, comme toute alimentation trop sélective), mais il est prématuré de tirer des conclusions définitives à ce sujet. Cette tendance à attribuer facilement une cause à des effets ressentis, est un phénomène qui a gagné en ampleur ces dernières années, du fait de la diffusion rapide par les réseaux sociaux de « modèles pathogènes ». D’après ces théories, un mécanisme unique (mais chaque fois différent) est rendu responsable de maux qui angoissent la population : Maladie d’Alzheimer, Dépression, Autisme et Cancer (pour prendre les plus fréquemment évoqués). Accepter facilement ces modèles comme avérés, vaut autorisation pour les sollicitations les plus étranges, telles celles trouvées sur ces flyers.


4- Hypothèse du commerce altruiste

Les gérants des boutiques « bio » pourraient être davantage préoccupés du bien-être de leurs clients qu’un commerçant « non bio ». Ce qui motive le commerçant "bio" peut être de la même nature que ce qui motive le consommateur "bio" : un besoin altruiste de ne pas nuire, ou le moins possible, autour de soi. Se préoccuper de la santé psychique de ses clients, et mettre à leur disposition les moyens d'"aller mieux", peut être vu comme l'extension d'un souci altruiste.

5- Hypothèse alimentaire

Ceux qui proposent ces soins et services, thérapies multiples et variées, fréquentent exclusivement les épiceries et magasins bio. Venant s'approvisionner pour leurs repas personnels, ils en profitent pour y déposer leurs dépliants et fascicules. S'ils fréquentaient les hypermarchés, on y trouverait la même littérature à disposition du client.

6- Hypothèse de l'attention sélective

Je peux aussi concevoir que mon attention est spécialement attirée dans ces magasins vers ces dispositifs publicitaires, alors que dans les autres types de commerce, assez peu fréquentés, je suis aveugle à ces sollicitations. Dans ce cas, il n'y aurait aucune raison particulière à la présence de cette offre de soins dans ce milieu précis, puisqu'elle envahirait l'ensemble de l'espace commercial.


Loin de moi la prétention de savoir quelle hypothèse doit être retenue. En pratique, je continue de m'efforcer de peser le moins lourd possible sur notre bonne vieille Terre, et je mange d'excellentes choses tout en allant... pas si mal.


>> Note

(1) En voici quelques exemples authentiques (copiés-collés), récoltés en moisson de rentrée, au cours du passage dans une épicerie bio : "Retrouvez la force et l'envie de réaliser vos rêves !", "... complète et consolide toute autre démarche thérapeutique", "apprendre à écouter, comprendre et utiliser les MESSAGES de mon corps, et que chaque évènement de ma vie devienne une expérience magique !", "un pas vers soi...", "Pour se libérer du stress, de tensions corporelles, fatigue, avant et après une opération, fractures, coupures, brûlures...", "enclencher son propre processus d'autoguérison", "aider à réduire le stress, l'anxiété, améliorer le sommeil, calmer les pensées répétitives, aider à fonctionner d'une manière différente, renforcer la confiance en soi", "oser la rencontre avec soi-même", "vous prenez conscience de comment habiter votre corps", "vous apprenez à bouger autrement et éliminez douleurs et tensions", "libérer le mouvement, réveiller le corps, s'exprimer, danser", "s'applique dans différents domaines : anxiété, dépression, arrêt du tabac et autres addictions, la gestion du poids, la gestion des émotions (phobies, timidité, manque de confiance, colère...) ou encore des troubles du sommeil", "mouvements simples pour retrouver détente et souplesse, et qui aident au maintien de la santé ou à la retrouver", "ressentir ses bienfaits dans votre corps, votre tête et votre cœur : détente, vitalité, lâcher-prise, confiance en soi", "mon objectif est de vous aider à améliorer un état qui ne vous convient plus, et à aller vers un mieux être", "Pour s'accepter tel qu'on est, pour reconnaître ses besoins, pour clarifier ses choix, pour améliorer ses relations", "Libération énergétique physique et psycho-émotionnelle, équilibre détente vitalité", "le plaisir d'être soi plus vivant et détendu à travers le mouvement spontané stimulé par la musique", etc.