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Mémoires du Futur

La valse lente des mots tristes

Publié par Jean Claude Serres, le 29 mars 2022   2.4k

A partir du  livre  « Eloge du risque " de Anne Dufourmantelle [suite et fin], le chapitre “Au risque d’être triste"    m’ inspire les réflexions suivantes : 

Ils se bousculent, ils prennent leur temps, s’étalent sans vergogne dans le mental, influent sur les organes et le corps. Ces mots de la valse lente sont : dénis de réalité, colère, tristesse, rumination, résignation, vengeance, abandon, trahison, deuil, séparation, divorce, humiliation, déprime, dépression, désespoir et bien d’autres encore.

Un point minuscule, un jour, surgit dans le mental et accède à la conscience. C’est le point de rupture qui ouvre le bal, la prise en compte que le monde d’avant ne sera plus. C’est le point de bascule. Le mental s’ouvre à tous ces termes sans joie ni espérance. Le déni de réalité n’est qu’un tremplin pour retarder, pour mieux sauter, dans ce bouillonnement, ce paysage de nuages noirs, de vents de tempêtes et de froideurs. La colère, la rumination ou la dépression cherchent à coloniser tout l’espace disponible du cerveau. Ce sont les cancers de la pensée. Des maladies psychosomatiques peuvent ainsi prendre naissance et amplifier ces mouvements d’eau trouble.

“Bonjour tristesse”, écrit Sagan. La tristesse possède un statut particulier. Elle peut s'insérer doucement, à petits pas et prendre place dans le mental. Ce moment de lucidité libère un petit bout de ciel bleu dans ce ciel gris.  La tristesse est ce mouvement essentiel de la pensée qui ouvre les yeux sur le monde d’avant et son point de bascule. La tristesse traduit l'acceptation de ce qui n’est plus. La tristesse va permettre de créer un second point d’une transformation radicale. Elle va ouvrir la porte au désespoir.

Désespérer signifie qu’il n’y a plus d’espoir. La tristesse a permis de valider l’acceptation du point de non retour. Le désespoir caractérise un autre moment ténu, le second point de rupture, la sortie de la zone de marais. La bifurcation propose deux chemins. Le premier est celui du renoncement, de l'abandon. La descente aux enfers s’engage. La tristesse se transforme en dépression profonde, mélancolique. Les maladies ou systèmes de dépendance que cela procure vont devenir chroniques.

Le second chemin est d’une tout autre nature. La tristesse qui achève la période du marais constitue une réserve de ferments de vie. Le désespoir signifie qu’il n’y a plus rien à espérer, rien ne viendra de l’extérieur. Le désespoir apporte alors l’énergie indispensable au rebond. Après l’acceptation, l’engagement à un autre projet de vie. Seule la décision d’agir et l’action vont dégager un nouveau possible, un nouveau sens à la vie. Entre ces deux points de rupture, la durée du marais, cette phase de maturation de deuil peut devenir productrice d’un rebond, d’une phase de résilience. La phase de résilience prendra du temps. Le chemin sera sans doute long et non linéaire, des avancées, des reculs.

La tristesse procure l’acceptation de la douleur psychique. Elle peut libérer l’espace mental utile à la germination du rebond et à l’engagement de la reprise en main de sa vie. Ce n’est pas gagné d’avance mais cela reste un possible.