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Mémoires du Futur

De Freud à Lacan – Partie II

Publié par Jean Claude Serres, le 13 mai 2021   1.5k

Ce deuxième article a pour but de préciser la démarche psychanalytique, sa théorisation et les concepts utilisés à partir de deux ouvrages de J D Nasio, excellent praticien, pédagogue et vulgarisateur. J’invite vivement à lire ces deux ouvrages pour qui voudrait approfondir la démarche psychanalytique.

Au cœur de la psyché en lisant J D Nasio :

Enseignement de 7 concepts cruciaux de la psychanalyse -  1988

et Cinq leçons sur la théorie de Jaques Lacan - 1992

 Voici la liste des 7 concepts clés de la psychanalyse décrits dans le premier livre : castration – phallus – narcissisme – sublimation – identification – sur moi – forclusion, et les 5 thématiques traitées dans le second livre : l’inconscient et la jouissance (symptôme et interprétation) – l’objet a – le fantasme – le corps – sujet de l’inconscient.

Quelques termes seulement vont être évoqués dans cet article. L’inconscient « freudien » se révèle lors de l’analyse. Il n’est ni l’inconscient du patient ni celui de l’analyse mais celui de leur relation pendant le travail d’analyse. C’est « l’inconscient de l’analyse ». Lorsque le patient émet une hésitation, un doute, un blanc, un lapsus dans son discours, il y a émergence d’un symptôme. Le symptôme est un « dit » sans signifiant ni pour le patient ni pour l’analyse. Il n’est pas conscientisé par le patient. Il n’est pas interprétable en tant que tel. Ce qui donnera sens à ce « dit » ou « symptôme » est sa répétition, c’est le chaînage des différents symptômes. De manière symétrique, l’interprétation de l’analyse est un « dit » non conscient qui va émerger et questionner le patient. Ce qui émergera se réalisera d’inconscient à inconscient. L’écoute de l’analyste est non interprétative. C’est une écoute profonde et non directive.

Chacun des mots clés utilisés en psychanalyse déborde largement ou le plus souvent ne correspond pas du tout au langage commun. La jouissance n’est pas similaire au plaisir dont le patient est conscient. La jouissance, celle de « l’inconscient freudien » navigue entre deux extrêmes : la réduction de l’énergie psychique non consciente ou au contraire son augmentation. Là où la parole échoue, apparaît la jouissance. Le doute ou le lapsus est une réduction de l’énergie psychique portée ou contenue dans l’inconscient. Par contraste, le désir est une manifestation consciente, c’est une défense contre la jouissance de l’inconscient. La jouissance est « l’énergie de l’inconscient ». Le récit du patient qui nourrit l’analyse est un fantasme qui par des imprévus, des hésitations, révèlera des « dits » : les symptômes.

L’inconscient est structuré comme un langage entre le patient et l’analyste. L’analyste est « l’autre » du symptôme. Cela s’inscrit et se produit dans le transfert. Les mots de ce langage sont les symptômes (signes sans signifiant conscientisé), qui font phrase entre eux. L’inconscient est porteur d’un savoir inconscient non explicité.

Les trois destins de l’énergie psychique se rapprochent des trois états de la jouissance :

  • « Jouissance phallique » : c’est l’énergie dissipée lors de la décharge partielle. La limite est donnée par le phallus (Lacan) ou le refoulement (Freud)
  • « Plus de jouir » : énergie qui reste retenue à l’intérieur du système psychique et dont le phallus ou refoulement empêche la sortie
  • « Jouissance de l’Autre » : c’est l’état idéal ou l’énergie aurait été entièrement déchargée – le point ou horizon de bonheur absolu. Ce sont des images de fiction, des mirages envoûtants et trompeurs qui entretiennent le désir.

A la différence du plaisir qui est transitoire, la jouissance est intemporelle car permanente. Si le névrosé évite la jouissance des autres, le pervers la recherche, la mime et la singe. Le pervers est celui qui imite le geste de jouir. Le psychanalyste doit faire face à trois formes de déviances psychiques : la névrose,  la psychose et la perversité.

L’un des concepts les plus pertinents dans le développement de la capacité d’écoute est « l’objet (petit) a ». Le « petit a » caractérise l’autre ou l’étranger qui se loge en soi ou en ses partenaires. C’est la part non conscientisée. Le « grand Autre »  caractérise la dimension mythique, tutélaire, générique voire archaïque que porte en lui chaque individu. Le but de l’analyse est de faire découvrir l’autre ou l’étranger  qui est en lui. « L’objet petit a » symbolise cette inconnue. Par le transfert, l’analyste devient le lieu du « petit a » qui surgira ou pas dans la succession des séances.

Regards actualisés sur les principes et concepts psychanalytiques

Freud a « inventé » et formalisé la psychanalyse à l’aide des concepts et principes de l’énergie et de la pulsion. C’est le siècle de l’invention du principe de Carnot de la thermodynamique qui régi les modèles mentaux par analogie. Aujourd’hui nos modèles mentaux analogiques s’inspirent du numérique ou de la mécanique quantique. Lacan s’est aussi fortement inspiré des logiques formelles mathématiques, du structuralisme comme des théories linguistiques sémantique et sémiotique de Saussure pour inventer sa propre symbolique. C’est ce que j’appelle les méta modèles de pensée qui gravitent dans la tête des chercheurs ou « intellectuels »  pour penser et structurer leur idées, en tout domaine à une époque donnée de la société.

De facto nous devons intégrer aujourd’hui les théories de l’information.  On peut déjà distinguer l’énergie motrice de notre corps et l’énergie de commande, électrique produite par les neurones. Le fonctionnement chimique, électrique et magnétique cérébral sert de support physique au traitement et transport de l’information. Ce qui caractérise au mieux la psyché aujourd’hui est de prendre en compte le traitement informationnel, qu’il soit cognitif, relationnel, affectif ou émotionnel.

Deux points centraux caractérisent le processus psychanalytique. Le premier est la logique quasi mathématique de sa théorisation.

La théorie psychanalytique est organisée en un système clos contenant des concepts précis qui s’auto réfèrent. En analogie avec la géométrie euclidienne il existe des axiomes non démontrables et des théorèmes qui se déduisent l’un de l’autre. En cela la théorie psychanalytique est cohérente et auto suffisante. Elle possède un langage spécifique. Le sens de chaque mot n’est pas le sens commun et déroute les non initiés. Par exemple « l’inconscient freudien » est un « inconscient révélé » dans le cadre de l’analyse et partagé, produit par l’analyste autant que par le patient. Cela n’a rien à voir avec les processus cérébraux non conscients qui génèrent (ou pas) nos états de conscience.

Le second point est concerne la dimension stratégique de l’acte psychanalytique. La théorie psychanalytique n’est pas d’ordre scientifique mais répond à une logique stratégique de réduction de la souffrance, singulière pour chaque patient. En cela elle rentre dans le cadre du paradigme de la complexité. Les singularités sont au cœur de la démarche. L’analyste fait partie intégrante du processus. L’inconscient de l’analyse se révèle au patient comme à l’analyste. Il s’agit d’une auto production. Les boucles récursives du traitement de l’information et la boucle ordre-désordre-organisation caractérisent pleinement ce processus.

 Le point discutable et fortement contextuel de la théorie psychanalytique est le rôle central que Freud comme Lacan donne à la sexualité. C’est un axiome non démontrable Cet axiome agit dans le processus d’écoute «  d’analyse » qui lui même est générique à nombreuses autres approches d’accompagnement thérapeutique mais n’intégrant pas les même axiomes : le rôle central de la sexualité et plus particulièrement de la sexualité infantile.

L’un des points forts de l’écoute analytique est bien exprimée par cette phrase de M Heideger : « L’étonnement qui pense, parle en questions.» Questionner ce qui se produit, se questionner sur son questionnement, passer du fait saisi (le signe) au concept abstrait : S1symptôme, dit - S2 contenu du discours conscient - Objet a, et retourner aux faits permet de ne pas tomber dans l’interprétation directe, de surface. Analyste comme patient naviguent entre « l’inconnu connu » (questions) et « l’inconnu inconnu » qui lui produira la surprise, l’étonnement.

La réduction de la souffrance ou « guérison » n’est pas le but premier de l’analyse. Elle pourra se produire éventuellement, de surcroît par le surgissement spontané « d’objets a » révélés.