Fabrique d'indicateurs : vers un référentiel commun

Publié par Vincent Rauzier, le 22 octobre 2018   2.5k

De nombreux indicateurs alternatifs ont émergé à travers le monde. Pourquoi une telle diversité ? Certains indicateurs ont un sens à une échelle large, tel que l’indice de développement humain, mais n’ont plus aucune pertinence à l’échelle d’une commune ou d’un quartier. Autre exemple : l’indicateur du « succès de la pêche à l’ouananiche » est très parlant pour la région de Saguenay-Lac-Saint-Jean au Québec, mais beaucoup moins sur d’autres territoires !

Les indicateurs locaux sont essentiels, car ils sont en prise avec les réalités d’un territoire. Ils permettent à chacun·e de se sentir concerné·e, et de pouvoir agir dans son quotidien. Pour autant, un socle commun de critères est essentiel pour créer des « conventions socio-politiques » et agir à grande échelle ; celle à laquelle se produisent les crises sociales et environnementales.

Le forum a fortement pointé ce besoin d’établir un référentiel commun, à l’échelle mondiale. Ainsi, les territoires pourraient s'appuyer sur celui-ci pour construire leur démarche, et l’ajuster à leurs particularités, tout en restant en phase avec les défis planétaires.

© Jean-Sébastien FAURE Ville de Grenoble

Le Bien Vivre,  concept universel aux couleurs locales

© Jean-Sébastien FAURE Ville de Grenoble

Et justement, le forum a permis de conforter ou de révéler des « dimensions universelles » du Bien Vivre. Sous des noms différents, des critères communs se retrouvent dans nombre d’expériences internationales : la convivialité, le lien social, la solidarité, le lien avec la nature, la gouvernance, le rapport au temps, le bien-être psychologique, l'affirmation de soi, la culture, l'accès aux droits fondamentaux, la santé, l'éducation... Chacun d’eux a un degré d'importance variable selon la culture ou les spécificités locales. Ces dimensions consensuelles peuvent constituer le fondement d’un référentiel partagé. Un des défis est de bien garder l’approche globale, holistique. Concrètement, l’idée est de mesurer l’incidence d’une action donnée sur chacune des dimensions essentielles pour le Bien Vivre. 

© Jean-Sébastien FAURE Ville de Grenoble

Les seuils de soutenabilité 

Des indicateurs comme le bien-être soutenable et territorialisé (IBEST) à Grenoble ou le bonheur national brut (BNB) au Bhoutan ont défini un seuil de soutenabilité. Au Bhoutan, il invite chacun  à se poser la question « How much is enough ? Qu'est-ce qui est assez ? », plutôt que « Comment avoir plus ? ». Le seuil de soutenabilité vise ainsi à définir collectivement ce qui est juste au regard du bien vivre et ce qui permet à chacun et chacune de vivre dignement. Il fixe des objectifs à atteindre pour un territoire, en fonction de ses particularités, sur des thématiques préalablement définies. Par exemple, concernant la santé, l'objectif fixé par l'IBEST est que 100 % des gens en mauvaise santé soient suivis médicalement. Cette technique apporte un changement de concept ; celui de s'affranchir de la comparabilité avec « le voisin » par le biais de scores, et de se concentrer sur l’atteinte d’une situation soutenable pour tous et toutes. Il s’agit alors de dépasser la tentation de « bien vivre chez soi… quitte à le faire aux dépens des autres » pour, au contraire, penser en termes d’interdépendance entre les territoires. La prise en compte des flux et des externalités économiques, sociales et environnementales, d’un territoire à l’autre, est donc indispensable.  

Les chiffres ont une éthique...

© Jean-Sébastien FAURE Ville de Grenoble

Les chercheur·e·s et notamment les économistes présent·e·s ont plaidé pour une éthique du chiffre. Son garde-fou ? La co-construction avec la société civile organisée. La présence de collectifs, de corps intermédiaires, aux côtés des politiques et des savant·e·s, offrent les conditions d’un partage du pouvoir.  

   

le droit, un outil au service du Bien Vivre 

Rendre les indicateurs opérationnels et leur donner la force du droit, telle est l’ambition des porteur·se·s de nouveaux modèles de société. La mise en place d’un cadre légal est une des étapes de cette montée en puissance des indicateurs. C’est une étape majeure mais insuffisante. Et pour cause, la France, avec la loi Eva Sas, impose chaque année au gouvernement de publier un rapport sur les nouveaux indicateurs, et d'évaluer les réformes passées et à venir à leur aune. Mais Eva Sas, ancienne députée de l’Essonne, constate des freins, des « résistances » à prendre en compte ces indicateurs dans l'élaboration des politiques publiques. Le Bhoutan, la Bolivie et l’Équateur sont allés plus loin : ils ont intégré la notion de Bien Vivre dans leur Constitution, et l’ont complétée par des outils du droit. Au Bhoutan, la Commission Nationale BNB instruit les différents projets de lois avant leur adoption, et les 8 dimensions du BNB sont inscrites sur le fronton des écoles.


Texte extrait du document bilan du Forum international pour le bien vivre.
Journaliste : Julie Fontana & Comité de pilotage du Forum.
Toutes les photographies d'illustration : ©Ville de Grenoble