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Les Savanturiers du Cerveau (S01EP06) : "Ne lisez pas ceci"

Publié par Laurent Vercueil, le 19 février 2019   2.3k

Avec Romance Cornet, nous sommes convenus de consacrer la dernière partie de l'animation des Savanturiers du Cerveau (étapes 1, 2, 34 et 5) à la réalisation avec les enfants d'une petite expérimentation sur les émotions. 

Mais avant de tourner la page sur cette première partie, il me semble utile de revenir, en forme de conclusion, sur l'enseignement principal, que les enfants ont pu déjà éprouver, à travers les différentes animations. Une émission du 30 janvier dernier de la Tête au Carré, sur France Inter, avec Jean Philippe Lachaux et Yves Citton, consacrée à "l'attention en crise", traite précisément de ce sujet, en évoquant, entre autres, l'impact des messages publicitaires sur le "temps de cerveau disponible". 

Nous avons vu combien notre cerveau est disposé à traiter le signe, c'est à dire des formes qu'il cherche et reconnait dans notre environnement et qui vont décider de notre perception. Ainsi des paréidolies (la troisième vidéo de l'épisode 2 et les explications à l'épisode 4), qui imposent de voir un visage où il n'y a qu'un torchon ou un robinet. C'est cette propension qui est exploitée par les publicitaires et tout ceux qui souhaitent imposer un comportement, une émotion, une représentation qui leur sert. Regardez l'image ci-dessous et tentez de ne pas faire ce qui est écrit...

Notre attention est convoitée (voir le capitalisme de l'attention) et sa propriété qui est la plus efficacement exploitée est sa disponibilité à traiter le signe. A faire que tout est signe pour le cerveau (1). 

Les enfants ont été étonné d'apprendre qu'un arbre qui tombe dans la forêt ne fait pas de bruit s'il n'y a pas quelqu'un pour l'entendre. La vibration de l'air que sa chute a provoqué n'est pas du bruit. Elle devient du bruit lorsqu'elle a été traitée par le tympan, les osselets, la cochlée et le nerf auditif, puis le noyau cochléaire et les voies de l'audition, jusqu'au cortex auditif primaire de la personne qui est là pour l'entendre. Et encore au-delà, pour attribuer ce bruit à la chute d'un arbre (2). 

Sensibiliser les enfants à la façon qu'a leur cerveau de traiter une information, non pas pour ce qu'elle est, mais pour ce qu'elle signifie pour eux (leurs attentes, leurs préférences, leurs présupposés, leurs préjugés (3)), c'est leur permettre de développer un esprit critique et de comprendre que le doute, même envers ses propres perceptions, est un outil qui favorise l'autonomie de la personne. 



(1) Jean Philippe Lachaux mentionne, dans cette émission, comme il est difficile de ne pas avoir en tête les sentences définitives des panneaux publicitaires croisés dans le centre commercial qu'il doit traverser pour se rendre dans le studio de radio ce jour là. 

(2) je ne peux pas résister au plaisir de citer le petit livre du philosophe Robert Misrahi "La liberté. Le pouvoir de créer" aux éditions Autrement (2015) récemment republié en format poche. Misrahi défend la liberté du sujet, et pourfend les philosophies déterministes. Le sujet de Misrahi est caractérisé par la "donation de sens" (le fait qu'il donne du sens aux objets, aux évènements), qui a une conséquence, une implication qu'il considère comme majeure : "qu'il s'agisse du sujet spontané (comme présence à soi et "réflexivité") ou du sujet réfléchi (comme "réflexion"), c'est toujours un sujet humain qui constitue le sens du monde, c'est-à-dire qui l'invente, le fabrique, l'affirme et le "constate"(ces termes pourraient être analysés longuement)" (p36-37 de la version de poche)

(3) Le signe peut proliférer jusqu'à l'envahissement, si nous n'y faisons pas "attention" : voir l'éxégèse du Mentaculus. Cette prolifération du signe, ainsi que la question de "l'effet signe" sont encore à traiter, j'y reviendrai.