Histoire des arts au collège : cymatique et synesthésie

Publié par Anne Dortel, le 8 avril 2015   6.4k

Avec ses élèves de Troisième, Anne Dortel aborde des sujets arts-sciences comme la cymatique et de la synesthésie. Elle nous propose son document d'analyse.

La vidéo ci-dessous de l'artiste néo-zélandais Nigel Stanford laisse en général bouche bée tous les amateurs de sciences, en herbe ou même chevronnés. Impressionnant, non ? Vous trouverez sur son site toutes les explications nécessaires à la bonne compréhension des phénomènes scientifiques visibles dans ce clip.

J'ai utilisé "Cymatics" comme support d'un parcours Art et Sciences avec une classe de troisième. Avec quelques collègues, nous avions pour objectif la préparation de l'épreuve d'Histoire des arts du Brevet. Nous souhaitions donner une perspective large en étudiant des œuvres qui se répondent.

En parallèle, nous avons profité du contexte grenoblois, notamment le travail mené par l’Atelier Arts-Sciences. Ainsi, les élèves ont visité le salon EXPERIMENTA, vu le spectacle "Sans objet", étudié le gant d'Ezra (voir la vidéo ci-dessous) et admiré les formidables créatures cinétiques de Théo Jansen. "Cymatics", diffusé dans l'émission "Tracks" d'Arte du 14 février dernier, m'a été signalé à point nommé pour compléter ce panorama déjà vaste de la recherche art-sciences.

Les élèves avaient été initiés à la synesthésie par le projet "Paysages sonores" de Vincent Mignerot présenté à EXPERIMENTA. Ce trouble de la perception permet à certaines personnes de "voir" les sons ou d'attribuer des couleurs à des chiffres. Certains synesthètes peuvent éprouver une sensation odorante à l'écoute de musique ou encore entendre des sons lorsqu'ils mangent.

L'étude de Cymatics a donc été simplifiée par ce premier contact. Par ailleurs, les phénomènes physiques utilisés dans le clip sont assez simples à expliquer et répondent bien au programme de troisième. En particulier, le fait que le son provoque un mouvement et que ce mouvement puisse créer de l'électricité correspond tout à fait à l'étude faite en classe sur la production d'énergie électrique.

Vous trouverez ci-dessous le document d'analyse du clip que j'ai fourni aux élèves pour qu'ils révisent avant l'épreuve.

*
* *

« Cymatics » (Vidéo clip de 5 min 53 sec)
Nigel Stanford, Nouvelle-Zélande
Réalisé en Juillet 2013 à New-York
Mis en ligne par l'artiste en novembre 2014: http://nigelstanford.com/Cymatics/

« Cymatics » est un clip vidéo dont la particularité est de présenter l'influence des sons sur la matière (l'étude de cette influence se nomme cymatique). Différents phénomènes physiques entrent en jeu et expliquent l'ensemble des séquences à l'image : aucun trucage numérique n'a été utilisé. Si la plupart de ces phénomènes sont connus depuis plusieurs siècles, l'impression donnée par leurs associations est saisissante.

Genèse (origine) de l'œuvre :

En 1999, Nigel Stanford regarde un documentaire sur la « synesthésie » - un trouble qui affecte les fonctions audio et visuelles du cerveau. Les personnes atteintes de ce trouble entendent un son quand ils voient des couleurs vives, ou voient une couleur quand ils entendent des sons différents. Lui-même ne possède pas cette capacité mais cela lui inspire l'idée de faire une vidéo de musique où chaque fois qu'un son est joué, un élément visuel lui correspond. Plusieurs années plus tard, il voit des vidéos sur la cymatique, la science de la visualisation des fréquences audio, et l'idée de la vidéo est née.

Synesthésie et cymatique dans l'art :

La « synesthésie dans l'art » peut se référer à trois définitions distinctes :

  • L'art par des synesthètes, dans lequel ils utilisent leur propre expérience synesthétique pour créer des œuvres d'art.
  • L'art supposé évoquer des associations synesthétiques chez une audience composée de non-synesthètes.
  • L'art par des non-synesthètes, qui tentent de représenter ce à quoi doit ressembler une synesthésie véritable.

Ainsi, Wassily Kandinsky (1866-1944), dont la synesthésie est confirmée, est-il connu pour ses peintures établissant des correspondances entre couleurs et sons. Par contre, Arthur Rimbaud n'était pas synesthète mais dans son poème Voyelles, il attribue une couleur aux voyelles, avec le vers célèbre « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, ».

Les phénomènes cymatiques étaient connus dès le XVème-XVIème siècle. C'est Ernest F. F. Chladni (1756-1827) qui démontra l'effet du son sur la matière en disposant du sable sur une plaque métallique mise en vibration par un archet. Il observa des figures géométriques qui se formaient sous l’effet des oscillations. Aujourd'hui, la cymatique fait l'objet de recherches en musicologie et est utilisée pour la relaxation.

Phénomènes physiques dans « Cymatics » :

Le son est par définition une vibration, un mouvement de l'air ou bien de la matière. Chaque son est une onde c'est-à-dire une variation qui se répète identique à elle-même dans le temps et dans l'espace. Cette variation concerne la pression de l'air (densité des molécules) ou du milieu dans lequel le son se propage. Quand on comprend cela, on comprend que les images de « Cymatics » sont logiques et non magiques (tout en restant impressionnantes).

Paysages sonores de Vincent Mignerot

Même s'il n'y a pas eu de trucage au sens d'une « intervention numérique », il faut tout de même dire que la vidéo de « Cymatics » a été réalisée avant que la musique soit composée. Ainsi, les sons entendus ne sont pas forcément ceux qui provoquent l'image observée.

  • Figures de Chladni : l'onde de pression créée par le son fait bouger des grains de sable disposés sur une tablette montée sur un support articulé. Les sons qui forment les figures choisies par l'artiste étaient trop aigus et désagréables pour être les sons utilisés dans la musique finale.
  • Jet d'eau : effet d'optique provoqué l'enregistrement de la caméra vidéo à 25 images par seconde. Le tuyau vibre à 25 hertz (25 mouvements par seconde), on a donc l'impression à l'image qu'il est immobile mais pas l'eau qui en sort. La lenteur du phénomène (ainsi que d'autres) a imposé le tempo relativement lent de la musique
  • Orgue de feu : l'onde de pression influence la densité des particules de propane dans le tuyau. La « vague de feu » observée est analogue à l'observation que l'on pourrait faire à l'oscilloscope du même son.
  • Bobines de Tesla : l'immense totem présenté fait référence aux rapports étroits existants entre la musique et l'électricité. En effet, dès lors que la musique est amplifiée ou enregistrée, cette onde sonore est traduite en onde électromagnétique. L'électricité est alors créée par le mouvement (= mouvement crée par l'onde) d'un aimant dans une bobine de fil conducteur. La décharge électrique est créée selon le même principe que lorsque la foudre frappe lors d'un orage. L'artiste est protégé par une cote de maille intégrale qui constitue une cage de Faraday.

Contexte général « art et sciences » :

Quelle que soit l'époque, tout art pour exister s'est appuyé sur les découvertes technologiques et scientifiques de son temps. Ainsi, même l'art pariétal (fresques réalisées sur les parois des grottes par les hommes de la préhistoire) s'est développé grâce à la découverte de pigments et de techniques permettant de « faire tenir » les couleurs sur la roche.

Léonard de Vinci (1452 – 1519) était à la fois peintre, scientifique et ingénieur et il est parfois difficile aujourd'hui de dissocier à quel champ chacun de ses travaux appartiennent. Par exemple, le dessin connu sous le nom d'Homme de Vitruve (1485-1490) était-il une étude du corps humain. Il est aujourd'hui pleinement considéré comme une œuvre d'art.

Plus près de nous, l'invention de la photographie a eu un impact majeur sur la peinture. En la libérant de la contrainte de représentation du réel, cette découverte ouvrait la porte à l'abstraction.

>> Source : cet article a été initialement publié sur le blog d'Anne Dortel : "Un labo dans ma cuisine"

>> Crédits : Evan Grant (Flickr, licence cc)