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Le Fab Lab : croisement entre technique et médiation humaine

Publié par Catherine Demarcq, le 11 septembre 2014   4.7k

Catherine Demarcq, responsable de la médiation à la Casemate revient sur deux ans et demi de médiation au Fab Lab de La Casemate. Entre formation, confiance et rencontres...

Le Fab Lab de La Casemate a ouvert ses portes au public en mars 2012 grâce au financement du grand emprunt accordé au programme Inmédiats. Ce fut le premier Fab Lab orienté grand public ouvert dans un centre de science. Ce lieu de fabrication numérique offre la possibilité d’utiliser les équipements les plus couramment rencontrés dans un Fab Lab. Il est ouvert à tous pour la réalisation de projets ou pour l’apprentissage dans un contexte d’ateliers et de formation.

Les utilisateurs, pouvant avoir des profils très variés, viennent s’initier à la conception 2D et 3D et à l’utilisation des machines, développent des projets, réalisent des prototypes, des maquettes, des objets personnels... A la différence de nombreux autres Fab Labs en France, localisés dans des écoles supérieures d’art ou de design, d’architecture, d’ingénieurs, des lycées techniques, des entreprises ou encore des universités, le Fab Lab de La Casemate présente la particularité d’être ouvert au grand public et de proposer des ateliers ou des formations pour tous les âges et tous les niveaux de compétences, allant de l’apprentissage à l’utilisation des machines, à la programmation, en passant par le montage d’imprimantes 3D ou la fabrication de circuits imprimés.

Mais le visiteur peut aussi tout simplement venir visiter et découvrir le lieu et questionner les médiateurs présents. Nous avons ainsi accueilli au Fab Lab de nombreux groupes scolaires, ou de centres de loisirs, des étudiants, des individuels, des groupes constitués de personnels de comités d’entreprises dans des cadres d’activités très différentes.

Des médiateurs “multi-fonctions”

A ce titre, le Fab Lab tente de se positionner non pas comme un simple espace de prototypage. C’est aussi un espace de réflexion sur l’accessibilité au public, d’expérimentation de nouvelles formes de médiation qui tentent de combler le vide entre un public néophyte et des compétences techniques. Le médiateur a donc plusieurs fonctions dans un Fab Lab : animer des ateliers, faire la maintenance des machines, être capable de présenter le lieu aux visiteurs curieux, aider et conseiller un utilisateur dans son projet. Ce positionnement d’intermédiation est indispensable pour faire entrer le visiteur néophyte dans l’univers du Fab Lab. Soulignons que l’ouverture du Fab Lab a nécessité une période de formation de l’équipe de médiateurs. Ceux-ci ont du se familiariser à l’utilisation des machines et à la conception numérique 2D et 3D. Nous avons ensuite imaginé des ateliers qui permettaient de faire le lien entre une activité scientifique et technique et l’utilisation du Fab Lab, en cherchant à montrer comment celui-ci pouvait être un outil pour développer des pratiques scientifiques individuelles ou collectives. En effet, il fallait écarter d’emblée le risque de se focaliser uniquement sur l’utilisation des machines.

Un bilan de deux ans et demi de DIY

Deux ans et demi plus tard, tentons de faire le point sur nos pratiques de médiation dans le Fab Lab ! Animer des ateliers dans un Fab Lab change t-il nos pratiques ? Si oui, en quoi est-ce différent des ateliers de pratiques scientifiques ou des visites d’exposition telles que nous les avions pratiqués jusqu’à maintenant ? L’approche des sciences et des techniques est-elle différente ? Qu’apprennent nos visiteurs dans un Fab Lab et comment ? Quelle sont les difficultés rencontrées ? Comment se passe la médiation au Fab Lab pendant des activités de groupe ?

Plus que dans des ateliers scientifiques traditionnels, l’apprentissage au Fab Lab fait très vite ressortir les disparités entre les individus. Par exemple, l’apprentissage de logiciels de dessins 2D et 3D peut être très hétérogène d’une personne à l’autre. Nous avons notamment constaté que de nombreuses difficultés apparaissent pour les utilisateurs novices car ils n’ont pas les compétences pour concevoir et fabriquer un objet. Il faut montrer comment on peut progresser dans un processus où l’on apprend en testant, en tirant profit de ses essais et de ses erreurs. Chaque projet étant différent et chaque participant ayant des compétences différentes, c’est l’hétérogénéité même qui caractérise la médiation interpersonnelle au Fab Lab, à la fois enrichissante et difficile.

Dans un Fab Lab, les individus doivent acquérir de l’autonomie. Nous proposons donc un éventail de formation à nos utilisateurs. Il est cependant impossible de former tous ensemble des élèves lors d’une visite de classe. Nous avons donc mis au point des visites de sensibilisation qui ont pour objectif principal de leur faire découvrir le Fab Lab et l’esprit DIY, les machines et leurs potentialités. Par exemple, il n’est pas possible avec une classe de 25 à 35 lycéens ou collégiens de mettre en place une réalisation d’objets. Par contre, on peut leur faire appréhender la démarche de projet (de l’idée à l’objet) en impliquant l’enseignant en amont de la visite. Chaque élève réalise un dessin (papier, crayon) en classe, ces dessins sont scannés par l’enseignant. Pendant la visite les élèves peuvent ensuite comprendre comment on peut passer d’un dessin à un objet gravé. Mais cette première approche, si elle a le mérite de faire connaître le Fab Lab aux jeunes, reste malheureusement encore limitée et plutôt frustrante. Nous conseillons donc aux enseignants de monter des projets de réalisation d’objets et les accompagnons dans leur démarche s’ils en expriment le besoin.

Une démarche de “slow-making”

La médiation au Fab Lab oblige ainsi à choisir entre des temps collectifs où l’on privilégie le nombre de personnes sensibilisées mais en restant plutôt à un stade d’observation et des ateliers où l’on privilégie le travail en groupe restreint. C’est au cours de ces ateliers que l’on peut réellement faire participer les individuels. Pour pouvoir travailler qualitativement et montrer la démarche Fab Lab, c’est à dire du processus de création (trouver l’idée d’un objet qu’on aimerait faire) à la réalisation d’un dessin numérique, en passant par l’apprentissage des machines et la fabrication, il s’avère donc nécessaire de travailler en petit groupe. Nous avons testé différents scénarios (effectif des groupes, temps d’atelier) et sommes arrivés à la conclusion que des groupes de 8 personnes étaient l’idéal. L’intérêt de pouvoir développer une telle démarche pour des groupes restreints est de permettre au public d’expérimenter en vrai grandeur la démarche projet au Fab Lab. Toutes les étapes et contraintes inhérentes à cette démarche de projet peuvent y être intégrées : progression par essai/erreur, temps de conception, recherche de matériaux, connaissance des techniques, etc..

Par contre, cette expérience va nécessiter du temps. Le temps passé avec le public n’est pas celui d’une visite d’exposition ou même d’un atelier scientifique comme nous avions l’habitude de le pratiquer auparavant. La démarche DIY c’est aussi du “slow making”. A l’image de la slow food, mouvement qui a pour objectif de sensibiliser les citoyens à l’écograstronomie et à l’alterconsommation, le Fab Lab est un lieu de slow making où l’on développe une autre manière de consommer et où l’on prend le temps d’apprendre. L'émergence d'un Fab Lab dans un centre de sciences nécessite donc de trouver de nouveaux modes d'organisation, de repenser nos pratiques, de faire évoluer nos compétences. Par exemple, il faut prendre le temps de faire tout seul pour arriver à maîtriser certains logiciels, et ce temps de formation nécessaire pour acquérir une autonomie est difficilement mesurable d’une personne à l’autre. Les ateliers actuellement proposés au FabLab durent environ 3 heures et proposent la fabrication d’objets : lampes, haut-parleurs, cadrans solaires etc… et ces objets auront été partiellement conçus auparavant. Le visiteur va ainsi choisir parmi des objets dont la conception a déjà été réalisée, et pourra de façon simple, les modifier ou les personnaliser.

Certains publics sont déjà acquis au Fab Lab : étudiants des filières de création ou d’innovation, architecture, design, ingénieurs, bricoleurs, geeks. Mais pour toucher ceux qui sont plus éloignés se pose la question de l’attractivité du Fab Lab. Ainsi l’injonction du DIY - “par toi-même tu construiras !” - peut se révéler être aussi une façon de mettre l’utilisateur potentiel devant l’abîme - “ai-je ces compétences ? Serai-je capable de les acquérir ?”. La relation avec la technique et les sciences est avant tout le résultat des échecs ou réussites que la personne aura eus dans le cadre de sa scolarité et de la confiance qu’elle aura développée. Cette relation peut être reconstruite positivement au Fab Lab. Notre expérience avec des jeunes issus de l’Ecole de la 2ème Chance montre qu’il n’est pas besoin d’être un “geek” pour y arriver. Ces jeunes âgés de 18 à 25 ans sont inscrits dans un parcours d’intégration proposé par l’école. Suivre un atelier au Fab Lab comporte un réel intérêt pédagogique selon leurs formateurs pour leur faire acquérir des compétences complémentaires ; cela participe de leur remise en confiance dans leurs capacités vis-à-vis des disciplines scientifiques et techniques.

Fabriquer. Oui, mais quoi ?

L’attractivité du Fab Lab passe aussi par les thèmes des activités que l’on y propose, surtout pour les publics qui ne sont pas des usagers habituels des centres de sciences. Se pose ainsi la question d’exploiter l’intérêt du groupe des 15-25 ans pour les nouvelles technologies du numérique. L’ouverture à la fin de l’année à Grenoble d’une salle de musiques actuelles nous a offert l’opportunité de rencontrer l’équipe chargée de la programmation et de développer ensemble une réflexion en lien avec le Fab Lab. Une première expérience réussie sur le thème de la musique lors du Festival Jour & Nuit avec la fabrication de haut-parleurs montre que ce partenariat permet d’ancrer certaines activités du Fab Lab dans un territoire local et une dynamique en direction des jeunes. Notre position est que ce n’est pas le Fab Lab en tant que tel qu’il faut leur faire connaître mais plutôt les projets que l’on peut y développer, les activités que l’on peut y avoir, les usagers (avec les mêmes centres d’intérêt) que l’on peut y rencontrer. En 2014, nous avons poursuivi cette expérimentation sur le thème de la musique et de l’image, avec l’organisation d’une soirée BYOB et d’un atelier sur le mapping, qui a rencontré un grand succès (près de 400 participants), et développons actuellement de nouveaux ateliers proposés lors du festival Jour & Nuit organisé en septembre prochain.

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