Renouveau de la nouvelle ? (aux limites de la Science) 2/2

Publié par Xavier Hiron, le 23 février 2021   780

 

Bandeau-titre de l’Humanité du 29 au 31 janvier 2021 annonçant l'entretien avec Jean-Pierre Luminet, pour son livre L’écume de l’espace-temps, par Anna Musso.

  

Malheureusement, il nous faut bien l’admettre, on a beau la chercher de tous les côtés, la nouvelle (voir ma présentation en 1/2) est devenue un genre sous-représenté, de nos jours. Au point d’apparaître comme un indice de non vitalité de la littérature. Un indice fort qui se manifeste à deux niveaux. Le premier étant que, face à la littérature de type compulsive (800 livres publiés à chaque rentrée littéraire), seul rivalise le réseau social : entre les deux, un désert, ou presque… Et attention : risque (ou révélateur, déjà ?) de fracture ! Le second, plus indirect, dénote que le livre, qui ne s’est jamais aussi bien porté que durant les quarante dernières années (en effet, c’est surtout les formes de sa distribution qui ont en premier lieu souffert des évolutions socio-économiques récentes), est devenu quasi exclusivement… un produit "marchandisé". Un enrobage qui s’apprend en classe, à potasser des modèles mécanisés et convenus et pour lesquels la littérature – c'est-à-dire le lent travail de convergence de la sueur, de l’imaginaire et du vécu – n’a plus beaucoup de place.

 

Oui, l'impact social de la littérature, en moins d'un siècle, a été modifié. Nous sommes bel et bien rentrés dans l’ordre de la recette kilométrique. Aujourd’hui, on passe directement au modèle supersonique, sans être réellement passé par la case apprentissage de ses propres valeurs. On néglige le temps de la maturation. Pire : s’il existe, on le cache ! Et d’ailleurs, on a beau prétendre le contraire, en termes d’appréhension de l’écriture, techniquement parlant, on se contente, la plupart du temps, de peu. Parfois même, en dessous du minimum syndical…

 

Mais dans le même temps, comme les centres d’intérêt de la société se déplacent, les frontières, elles, s’estompent. Nous sommes entrés dans l’ère du scientifiquement correct… Un article récent que l’on m’a communiqué (entretien avec Jean-Pierre Luminet, par Anna Musso, L’Humanité, 29 au 31 janvier 2021) annonce le travail de synthèse de cet astrophysicien en fin de carrière et dont le propos principal aura été de présenter au plus grand nombre l’état d’avancée de sa discipline, la cosmologie. Pour ce faire et parvenir à nous évoquer simplement ce « vertigineux mystère de l’univers », Jean-Pierre Luminet n’hésite pas à revendiquer une approche… littéraire. Certes, puisque c’est un livre, son éditeur aura tenu à ce que, pour toucher le plus grand nombre, le sujet soit élaboré de façon accessible : simple question de métier.

 

Mais au-delà de cette remarque liminaire, ce qui est intéressant ici, c’est le contenu. Jean-Pierre Luminet, homme d'une grande curiosité, en toute humilité, n’hésite pas à nous démontrer que sa discipline, dont le fondement est de nous décrire une approche réaliste de l’univers (autant dans sa dimension dynamique que sous l’angle d’une restitution plausible de sa création), est aujourd’hui placée dans une impasse. De laquelle il résulte que pas moins de sept théories sont en compétition pour exprimer ce qu’est le système de l’univers, et que parmi ces sept, bien malin sera celui qui pourrait prédire celle qui sortira du chapeau ! (*)

 

La situation est plus grave que vous ne le pensez. Outre que cet état de fait signale au passant que notre perception de l’univers, sous l’impulsion de nos moyens d’investigation démultipliés, ne cesse de grandir (tandis que lui-même est en phase active d’expansion !), c’est la nature même de l’agrégation de l’univers initial qui pose problème. En réalité, nous n’arrivons pas à comprendre comment nous sommes passés de l’infiniment petit (ou condensé) à l’infiniment grand (ou expansé) en moins de 14 milliards d’années.

 

Impasse donc, car nous touchons clairement aux limites d’une discipline scientifique autant qu’intellectuelle, pourtant pleine de promesses il y a moins d’un siècle. Et effectivement, que de chemin parcouru (de la mécanique quantique, qui explique les relations du monde microscopique, à la relativité générale, qui s’atèle à investiguer l’échelle astronomique de l’espace-temps)… pour si peu de réponses fondamentales acquises !

Il pourrait vous sembler que je prends le sujet à la légère. Mais pas si nous en revenons au motif initial de notre article. Car ici, la revendication littéraire de l’auteur est en réalité un cache-misère. Elle escamote difficilement, aux yeux du lecteur, une déception intérieure : sa foi naturelle en la science a été atteinte. Sa tentative de restitution d’une vision unifiée du monde sur 60 ordres de grandeur a été déçue. Or l’homme n’est-il pas unifié par nature ? Vous admettrez que cette constatation, outre qu’elle est radicale, ne laisse pas de nous interroger, au moment même où notre société est proche de proclamer la toute puissance de la Science.

 

Au-delà de cette vision d’amertume humaniste, ne se dessine-t-il pas, en filigrane, une critique sociale acerbe ? Les questions que tente d’aborder cette discipline lointaine de la cosmologie ne se situent-elles pas en dehors du temps et de l’espace humainement préhensibles ? Et si l’on compare son approche du monde à celle que nous enseignent les textes bouddhiques, par exemple, qui prônent la recherche perpétuelle d’un être fusionnel avec ici et maintenant, que ressentirions-nous de ce décalage latent, puisque ces deux approches, finalement, sont censées, par des voies opposées, nous mener au même sentiment de vide de l’être ?

 

Heureusement, nous suggère L’écume de l’espace-temps, le livre plein de rêve écrit par Jean-Pierre Luminet, la littérature consiste en cet entre-deux : celui qui est l’expression de la vie, qui se trouble et s’excite entre nos deux vides (ne cite-t-il pas d’entrée l’aphorisme du philosophe et poète Paul Valéry : « Les événements sont l’écume des choses » ?) que représentent à la fois l’inconnu et notre profondeur d’être. Or c’est justement ce genre de bouillonnement intérieur que restitue la nouvelle. N’est-ce pas en cela que réside notre promesse d’exister ?  



(*)  Jean-Pierre Luminet nous indique même une 8ème voie possible : "Il se pourrait en effet que la quête d'une théorie totalement unifiée de la physique ne corresponde pas à une propriété intrinsèque de la nature, mais relève d'un pur besoin psychologique des physiciens !"

*                                 *                                 *

  

Que cherchent-ils ? Que cherchent-ils vraiment

Avec leurs bras tendus et leurs pas égarés ?

De leurs voix si brûlantes sous un jour étranglé ?

Près des pistes si longues, que cherchent-ils vraiment ?

 

Je vois leurs fins visages, leurs sourires défaits.

Ces longs regards furtifs et sans force pourtant.

Et leurs corps agressés sous des pluies fatiguées.

Leurs pas incontrôlables qui s’épuisent souvent

Aux chemins de traverse : que cherchent-ils vraiment ?

 

Ces corps couverts de cris sous des draps de poussière.

Sous des rouges lavés dans la faible lumière…

Ces êtres longs, livides, sous les assauts du vent

Avec leurs pieds tordus, leurs mains déchiquetées

Que cherchent-ils ? Que cherchent-ils vraiment ?

 

Car je sais de leurs peurs, je connais leur effroi

De ne trouver que sable, que soleil, que suroît

Que mers assassinées. Leurs présences toujours

Aux jours réitérés, mêlées de bruits vermeils.

Et leurs fausses collines : ronflements languissants

D’une ville oubliée, proscrite de l’Histoire…

 

Ainsi, je connais leurs voyages. Je connais

Cet exode incessant vers des contrées lointaines.

Je connais ce pays où les journées reviennent

Et sur lesquelles les nuits et de hauts feux maudits

Dorment en cycles réguliers. Que cherchent-ils vraiment ?

 

Je la connais aussi : c’est une marche affreuse.

Toutes ces mers pénibles, ces grèves désertées

Où rien ne naît que la désolation… Cela aussi je le connais.

 

Loin de l’herbe des prés, que cherchent-ils vraiment ?

 

                                                                                  48- Exode sur le sable (29) – vers 1980

 

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(ajout le 15-09-2023 de mon essai romancé : Fonction et utilité du patchwork littéraire)

  

Recyclage n° 1, fichier numérique retouché © Xavier Hiron, 2019.